Découvrir, comprendre, créer, partager

Image

Paul Pelliot dans la niche aux manuscrits 163 (ou grotte 17)

Paul Pelliot dans la niche aux manuscrits 163 (ou grotte 17)
Le format de l'image est incompatible

« Enfin la clef arriva, et le 3 mars, pour le mardi gras, je pus entrer dans le saint des saints ; je fus stupéfié. Depuis huit ans qu’on puise à cette bibliothèque, je la croyais singulièrement réduite. Imaginez ma surprise en me trouvant dans une niche d’environ 2,50 m en tout sens et garnie sur trois côtés, plus qu’à hauteur d’homme, de deux et parfois trois profondeurs de rouleaux. D’énormes manuscrits tibétains serrés entre deux planchettes par des cordes s’empilaient dans un coin ; ailleurs des caractères chinois et tibétains sortaient du bout des liasses. Je défis quelques paquets. Les manuscrits étaient le plus souvent fragmentaires, amputés de la tête ou de la queue, brisés par le milieu, parfois réduits au seul titre ; mais les quelques dates que je lus étaient toutes antérieures au 11e siècle, et dès ce premier sondage, je rencontrais quelques feuilles d’un pothî en brahmi et d’un autre en ouigour. Mon parti fut vite pris. L’examen au moins sommaire de toute la bibliothèque s’imposait, où qu’il dût me mener. De dérouler d’un bout à l’autre les quelque I5 000 à 20 000 rouleaux qui se trouvaient là, il n’y fallait pas songer ; je n’en eusse pas vu la fin en six mois. Mais je devais au moins tout ouvrir, reconnaître la nature de chaque texte, et quelles chances il offrait d’être nouveau pour nous ; puis faire deux parts, l’une de crème, de gratin, de ce qu’il fallait se faire céder à tout prix, et l’autre qu’on tâcherait d’obtenir, tout en se résignant, le cas échéant, à la laisser échapper. Malgré que j’aie fait diligence, ce départ m’a pris plus de trois semaines. Les dix premiers jours j’abattais près de 1000 rouleaux par jour, ce qui doit être un record : le 100 à l’heure accroupi dans une niche, allure d’automobile à l’usage des philologues. J’ai ralenti ensuite. D’abord j’étais un peu fatigué, la poussière des liasses m’avait pris à la gorge ; et aussi mes négociations d’achat m’incitaient à gagner du temps, autrement dit à en perdre. Un travail aussi hâtif ne va naturellement pas sans quelque aléa ; des pièces ont pu m’échapper, qu’à plus mûr examen j’aurais aimé m’annexer. Toutefois, je ne pense pas avoir rien négligé d’essentiel. Il n’est pas seulement un rouleau, mais un chiffon de papier, – et Dieu sait s’il y avait de ces loques, –qui ne m’ait passé par les mains, et je n’ai rien écarté qui ne m’ait paru sortir du cadre que je m’étais tracé ! »

Extrait d’une lettre adressée par Paul Pelliot à Emile Sénart relative à son accès à la grotte-bibliothèque et au travail qu’il y effectua, 1908
Cité dans Trésors de Chine et de Haute Asie : centième anniversaire de Paul Pelliot : [exposition], Paris, [Bibliothèque nationale, 20 septembre-28 décembre], 1979 / [catalogue par Marie-Rose Séguy] ; [préface de Georges Le Rider]

Paris, musée Guimet, archives photographiques, AP8187

  • Date
    Entre le 25 février et le 27 mai 1908
  • Lieu
    Dunhuang (ou Touen-houang), Chine
  • Auteur(es)
    Charles Nouette (1869-1910), photographe
  • Description technique
    Épreuve au gélatino-bromure d’argent sur papier, 18 x 24 cm
  • Provenance

    © Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2023

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmg6gxts1vvs6