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Le Scapin, le Matamore et le Tyran

Le Capitaine Fracasse
Le Scapin, le Matamore et le Tyran
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Les comédiens de la troupe itinérante sont accueillis par l’aubergiste Chirriguirri, lui aussi un véritable acteur : il déploie des trésors de rhétorique pour vendre plus cher ses mets et orchestre un ballet de cuisiniers et valets imaginaires. Théophile Gautier, à travers la verve de ce personnage, pastiche la langue précieuse du 17e siècle durant lequel se déroule ce récit historique. L'auteur s'inspire également du burlesque du Roman comique de Scarron.

« Chirriguirri s’approcha d’eux courtoisement et avec toute la bonne grâce que lui permettait sa mine naturellement rébarbative.
– Que servirai-je à Vos Seigneuries ? Ma maison est approvisionnée de tout ce qui peut convenir à des gentilshommes. Quel dommage que vous ne soyez pas arrivés hier, par exemple ! J’avais préparé une hure de sanglier aux pistaches si délicieuse au fumet, si confite en épices, si délicate à la dégustation, qu’il n’en est malheureusement pas resté de quoi mastiquer une dent creuse !
– Cela est en effet bien douloureux, dit le Pédant en se pourléchant les babines de sensualité à ces délices imaginaires ; la hure aux pistaches me plaît sur tous autres régals ; bien volontiers je m’en serais donné une indigestion.
– Et qu’eussiez-vous dit de ce pâté de venaison dont les seigneurs que j’hébergeai ce matin ont dévoré jusqu’à la croûte après avoir mis à sac l’intérieur de la place, sans faire quartier ni merci ?
– J’eusse dit qu’il était excellent, maître Chirriguirri, et j’aurais loué, comme il convient, le mérite non pareil du cuisinier ; mais à quoi sert de nous allumer cruellement l’appétit par des mets fallacieux digérés à l’heure qu’il est, car vous n’y avez pas épargné le poivre, le piment, la muscade et autres éperons à boire. Au lieu de ces plats défunts dont la succulence ne peut être révoquée en doute, mais qui ne sauraient nous sustenter, récitez-nous les plats du jour, car l’aoriste est principalement fâcheux en cuisine, et la faim aime à table l’indicatif présent. Foin du passé ! c’est le désespoir et le jeûne ; le futur, au moins, permet à l’estomac des rêveries agréables. Par pitié, ne racontez plus ces gastronomies anciennes à de pauvres diables affamés et recrus comme des chiens de chasse.
– Vous avez raison, maître, le souvenir n’est guère substantiel, dit Chirriguirri avec un geste d’assentiment, mais je ne puis m’empêcher d’être aux regrets de m’être ainsi imprudemment dégarni de provisions. Hier mon garde-manger regorgeait, et j’ai commis, il n’y a pas plus de deux heures, l’imprudence d’envoyer au château mes six dernières terrines de foies de canard ; des foies admirables, monstrueux ! de vraies bouchées de roi !
– Oh ! quelle noce de Cana et de Gamache l’on ferait de tous les mets que vous n’avez plus et qu’ont dévorés des hôtes plus heureux ! Mais c’est trop nous faire languir, avouez-nous sans rhétorique ce que vous avez, après nous avoir si bien dit ce que vous n’aviez pas. » (Théophile Gautier, chapitre 3, Le Capitaine Fracasse, 1863.) 

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1866
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Théophile Gautier (1811-1872), auteur du texte ; Gustave Doré (1832-1883), illustrateur ; Charpentier (1905-1871) éditeur
  • Description technique
    Estampe sur papier
  • Provenance

    BnF, Réserve des livres rares, RES-Y2-1003

  • Lien permanent
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