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Oui ou non

Monument du Costume. Troisième Suite pour servir à l’histoire de la mode et du costume dans le 18e siècle.
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« Eh quoi ! me disais-je, cette servante est belle, ses yeux sont bien fendus, ses dents blanches, l’incarnat de son teint est le garant de sa santé, et elle ne me fait aucune sensation ? Je la vois toute nue, et elle ne me cause pas la moindre émotion ? Pourquoi ? Ce ne peut être parce qu’elle n’a rien de ce que la coquetterie emprunte pour faire naître l’amour. Nous n’aimons donc que l’artifice et le faux, et le vrai ne nous séduit plus lorsqu’un vain appareil n’en est pas l’avant-coureur. Si dans l’habitude que nous nous sommes faite d’aller vêtus, et non pas tout nus, le visage qu’on laisse voir à tout le monde est ce qui importe le moins, pourquoi faut-il qu’on fasse devenir ce visage le principal ? Pourquoi est-ce lui qui nous fait devenir amoureux ? Pourquoi est-ce sur son témoignage unique que nous décidons de la beauté d’une femme, et pourquoi parvenons-nous jusqu’à lui pardonner, si les parties qu’elle ne nous montre pas sont tout le contraire de ce que la jolie figure nous les a fait juger ? Ne serait-il pas plus naturel et plus conforme à la raison, et ne vaudrait-il pas mieux aller toujours avec le visage couvert, et le reste tout nu, et devenir amoureux ainsi d’un objet, ne désirant autre chose pour couronner notre flamme qu’une physionomie qui répondrait aux charmes qui nous auraient déjà fait devenir amoureux ? Sans doute cela vaudrait mieux, car on ne deviendrait alors amoureux que de la beauté parfaite, et on pardonnerait facilement quand à la levée du masque on trouverait laid le visage que nous nous serions figuré beau. Il arriverait de là que seules les femmes qui auraient une figure laide seraient celles qui ne pourraient jamais se résoudre à la découvrir, et que les seules faciles seraient belles ; mais les laides ne nous feraient pas au moins soupirer pour la jouissance ; elles nous accorderaient tout pour n’être pas forcées à se découvrir, et elles n’y parviendraient à la fin que lorsque par la jouissance de leurs véritables charmes elles nous auraient convaincus que nous pouvons facilement nous passer de la beauté d’une figure. Il est par ailleurs évident et incontestable que l’inconstance en amour n’existe qu’à cause de la diversité des figures. Si on ne les voyait pas, l’homme se conserverait toujours amoureux constant de la première qui lui aurait plu. »

Histoire de ma vie, II, p. 364-365.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    Vers 1781
  • Auteur(es)
    Gravue de N. Thomas d’après Jean-Michel Moreau le Jeune (1741-1814)
  • Description technique
    Gravure, 50 x 65 cm
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la photographie, Réserve EF-59 (A, 6)-BOITE FOL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm126200020c