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Vienne : Vue générale de la ville

Vienne : Vue générale de la ville
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« Tout Vienne était beau, il y avait beaucoup d’argent, et beaucoup de luxe ; mais une grande gêne pour ceux qui étaient dévoués à Vénus. Des scélérats espions, qu’on appelait commissaires de chasteté, était des bourreaux impitoyables de toutes les jolies filles ; l’impératrice qui avait toutes les vertus n’avait pas celle de la tolérance lorsqu’il s’agissait d’un amour non légitime entre un homme et une femme. Cette grande souveraine très religieuse haïssait en général le péché mortel, et désirant de se faire un mérite devant Dieu en l’extirpant elle crut avec raison qu’il fallait le persécuter en détail. Elle prit donc entre ses mains le registre de ce qu’on appelle les péchés mortels, elle trouva qu’ils étaient sept, et elle crut qu’elle pouvait dissimuler sur six, mais la paillardise lui parut impardonnable, et ce fut contre elle que tout son zèle se déploya et éclata.
― On peut, dit-elle, ne pas connaître l’orgueil, car la dignité en porte l’étendard. L’avarice est affreuse, mais on peut s’y méprendre, elle peut paraître économie à celui qui aime l’espèce. Pour la colère c’est une maladie, qui dans son accès est meurtrière, mais les homicides sont punis de mort. La gourmandise peut n’être que friandise, qui passe pour une vertu dans la bonne compagnie, et elle s’allie avec l’appétit. Tant pis d’ailleurs pour ceux qui meurent d’une indigestion. L’envie n’est jamais avouée, et la paresse est punie par l’ennui. Mais l’incontinence est ce que je ne peux pas pardonner. Mes sujets seront les maîtres de trouver jolies toutes les femmes qui leur paraîtront telles, et les femmes feront tout ce qu’elles pourront pour le paraître ; qu’on s’entre-désire tant qu’on voudra, je ne peux l’empêcher ; mais je ne souffrirai jamais l’acte indigne qui tend à contenter ce désir, qui est cependant inséparable de la nature humaine, et cause de la reproduction de l’espèce. Qu’on se marie, si on veut avoir ce plaisir-là, et périssent tous ceux qui veulent se le procurer pour leur argent, et qu’on envoie à Temisvar toutes les malheureuses qui vivent du parti qu’elles pensent pouvoir tirer de leurs charmes. Je sais que sur cet article-là on est indulgent à Rome pour empêcher, dit-on, la sodomie, les incestes et les adultères ; mais mon climat est un autre ; mes Allemands n’ont pas le diable au corps comme les Italiens, qui n’ont pas, comme on l’a ici, la ressource de la bouteille ; et d’ailleurs les désordres de conséquence seront aussi surveillés, et lorsque je saurait qu’une femme n’est pas fidèle à son mari je la ferai enfermer aussi, malgré qu’on prétend que le mari en est le seul maître. Ce ne peut pas être une raison dans mes États, car les maris y sont trop indolents. Je laisserais crier tant qu’ils voudront les maris fanatiques qui prétendront qu’en punissant leurs femmes je les déshonore. Ne sont-ils pas déshonorés d’avance ? [...]
Dans cette féroce maxime, sortie du seul défaut que la grande Marie-Thérèse avait sub specie recti [sous l’apparence du droit] naissaient toutes les injustices et toutes les rapines que commettaient les bourreaux commissaires de chasteté. On enlevait, et on conduisait en prison à toutes les heures du jour dans les rues de Vienne toutes les filles qui toutes seules marchaient pour aller gagner leur vie même honnêtement. Mais comment pouvait-on savoir que ces filles allaient se faire consoler chez quelqu’un ou qu’elles cherchaient le consolateur. Un espion les suivait de loin, la fille entrait dans une maison, l’espion qui l’avait vue, ne pouvant savoir à quel étage elle était montée, l’attendait en bas, et s’en emparait pour savoir chez qui elle était allée, et ce qu’elle y avait fait, et au moindre sens obscur dans ses réponses, le bourreau la conduisait en prison, commençant par lui prendre tout ce qu’elle avait en argent, ou en bijoux dont on ne pouvait plus avoir de nouvelles. [...] Toutes les filles enfin qui marchaient dans les rues de Vienne en étaient réduites à tenir un chapelet à la main. On ne pouvait pas pour lors les arrêter d’emblée, car elles disaient qu’elles allaient à l’église, et Marie-Thérèse aurait pour lors fait arrêter les commissaires. »

Histoire de ma vie, I, p. 641-643.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    Vers 1760
  • Lieu
    À Paris, chez Daumont, éditeur
  • Description technique
    Estampe, vue d’optique, 29 x 41 cm
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la photographie, LI-72 (6)-FOL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm126200203f