Biographies exemplaires ou Annales pour servir de miroir aux hommes

Wang Tingna, originaire de Xiuning dans la province de l’Anhui, fut à la fois auteur dramatique et propriétaire de la maison d’édition du Huancuitang ; il y fit paraître en tant qu’écrivain un recueil riche de 357 anecdotes à visée édifiante et moralisatrice tirées des Classiques et des grands ouvrages historiques. Ces biographies des hommes d’exception du temps jadis devaient servir de miroir aux hommes du temps présent, elles mettaient en valeur les qualités prônées par les confucéens, telles que la fidélité, la piété filiale, la constance et la loyauté qui constituent les divisions de cette encyclopédie des comportements moraux.
Chaque récit est accompagné d’une illustration sur une double page dont l’iconographie et le rendu sont d’une facture extrêmement soignée. Les images occupent deux folios en vis-à-vis, format qui les transforme en véritables tableaux de genre montrant souvent des scènes d’intérieurs, des demeures de lettrés ou de marchands et des jardins.

Le livre est pourvu de seize préfaces dont la dernière mentionne l’année 1600, date de sa parution. Ce chef-d’œuvre de l’édition illustrée témoigne du haut degré artistique atteint par des centres de production et particulièrement celui de Shexian, dans la province de l’Anhui, au début du 17^e siècle, et est exemplaire de l’art du livre sous les Ming. À cette époque, l’image s’impose dans tous les domaines - qu’ils soient scientifiques ou littéraires -, et agrémente même, comme ici, le genre convenable de la littérature édifiante. Les éditeurs de cette époque, hommes éduqués baignant dans des milieux artistiques, firent souvent appel à des peintres expérimentés, ou recopièrent leurs œuvres. Ici, c’est Wang Geng, un artiste de Shexian, qui avec peu d’éléments a su renouveler l’intérêt de chaque image.
Plusieurs dizaines de talentueux graveurs, membres du clan des Huang, travaillèrent non seulement dans leur ville de Shexian mais aussi dans les grands centres éditoriaux du Sud de la Chine. Huang Yingzu qui grava les bois de cet ouvrage montre ici la parfaite maîtrise de son art. Cet exemplaire est, en outre, d’un bon tirage et imprimé sur un beau papier.

L’œuvre vise une clientèle fortunée, moyennement éduquée et certainement exigeante quant à la qualité picturale et éditoriale. Cette description correspond aux grandes familles de Shexian et de la région qui gagnèrent des fortunes considérables par le commerce et se firent bâtir de splendides demeures ornées de boiseries sculptées avec délicatesse. Engagées dans le négoce, elles donnaient une éducation suffisamment soignée à leur progéniture pour que certains de leur fils soient capables d’entrer dans la haute administration. La classe des riches marchands se reconnaissait en effet dans les valeurs confucéennes traditionnelles. Cette encyclopédie des bons sentiments s’adresse à un public de bon goût ; la morale rigoriste et austère des confucéens y est adoucie par les luxueuses illustrations sur doubles pages. Les récits édifiants prennent la forme de courtes nouvelles qui balayent de grands pans de l’histoire de Chine. Sans doute les lecteurs y virent-ils un délicieux moyen de rafraîchir leur mémoire ou de se donner un vernis culturel.

La qualité graphique est exceptionnelle : ce souci de l’art du dessin au trait va de pair avec un soin calligraphique, évident dans les préfaces qui reproduisent de gracieuses écritures de lettrés.