L’Invasion jaune, grande publication illustrée

Les œuvres du « Capitaine Danrit » (pseudonyme d’Émile Driant, 1855-1916, militaire, gendre du général Boulanger) sont indissociables du climat nationaliste qui imprègne avec plus ou moins de force la littérature de jeunesse française entre 1870 et 1920, d’une part, et du contexte impérialiste et colonialiste, voire raciste, de l’époque, d’autre part.

Cet officier produit une œuvre qui vulgarise les questions militaires auprès d’un grand public, adultes ou enfants selon les titres, publiés dans Saint-Nicolas ou dans Le Journal des voyages, puis chez Flammarion, dont il est l’auteur phare, au point de se voir dédier une collection imitant les Voyages extraordinaires. Mais la grande originalité de son œuvre vient de ce qu’elle interroge presque toujours le futur, dans d’étonnantes spéculations de « politique-science-fiction ». À chaque fois, les progrès matériels (ainsi L’Aéroplane) sont mis au service d’une histoire de guerre dont les héros sont des Français ayant pour ennemis des Allemands ou d’anciens colonisés. La Guerre de demain (1889), L’Invasion noire (1895), La Guerre fatale (1901), L’Invasion jaune (1905), L’Aviateur du Pacifique (1909), Au-dessus du continent noir (1911), annoncent la chute de l’impérialisme anglais (après Fachoda), la fin de l’hégémonie européenne, la montée en puissance de la Chine, préfigurent Pearl Harbor, dénoncent la menace allemande. Les récits de combats, de guerre totale, de massacres sanguinaires se succèdent.

L’affiche ici présentée montre ainsi une armée chinoise (la révolte des Boxers n’est pas loin) défilant sur les Champs Élysées comme les Prussiens en 1871, de l’Arc de triomphe au Grand Palais (tout récent, 1900 !) ruiné, sur les cadavres sanglants de civils, hommes, femmes et enfants, et d’un militaire. Driant, député de Nancy depuis 1910, obtint d’être envoyé au front en 1914, et fut tué lors de l’assaut allemand sur Verdun au bois des Caures en 1916. Sa mort réellement héroïque eut un grand retentissement et provoqua un déluge d’honneurs officiels, un mausolée étant même bâti en 1922. Mais ses livres disparaissent des catalogues d’éditeurs en 1920, comme toute la littérature belliciste pour la jeunesse, signe de la fin d’une époque.