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Saint Augustin enseigne sa doctrine ; Clovis reçoit du ciel ses armoiries et l’ampoule avec le saint chrême

La Cité de Dieu
Saint Augustin enseigne sa doctrine ; Clovis reçoit du ciel ses armoiries et l’ampoule avec le saint chrême
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Ce manuscrit exceptionnel compte parmi les ouvrages les plus importants de la miniature flamande. Il s’agit de la traduction française du De civitate Dei de saint Augustin que Raoul de Presles effectua entre 1371 et 1375 pour le roi de France Charles V. L’idée essentielle de cette œuvre patristique capitale repose sur l’évocation par saint Augustin de deux villes, une cité terrestre, l’autre céleste. La première est fondée sur l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu, tandis que la seconde, la « Cité de Dieu », est construite sur l’amour de Dieu. Le colophon du premier volume mentionne que cette copie en deux volumes a été assemblée et écrite (ex duob[us] conflatum et scriptum est) par Nicolas Cotin, frère prêcheur dominicain, en 1445 à la demande de Jean Chevrot, évêque de Tournai de 1438 à 1460. C’est à cette époque que Jean Chevrot a fait apposer ses armes sur les initiales de la première page de chacun des deux volumes. Mais on ne sait pas grandchose de Nicolas Cotin : le seul autre fragment de sa main qui ait été conservé est un Arbor caritatis de Guillelmus Adam Antibarensis (Courtrai, OB, ms. 390) dans lequel Cotin précise avoir lui-même ajouté des esquisses, réalisées grossièrement et en suivant un modèle trop grand. Quelques documents d’archives nous apprennent que cet homme, originaire du couvent des dominicains d’Amiens et actif à Boulogne et Lille, remplissait la fonction d’« inquisiteur de Thérouanne et de Tournay ». Il est probable que Chevrot le connaissait par cette fonction.

Le testament de l’évêque, enregistré le 18 janvier 1459 (Tournai, ABCT, chartrier, no A 800), montre bien que le manuscrit de la Cité de Dieu lui était très cher. Il y précise en effet qu’il l’offrira à sa cathédrale. Le document mentionne également que le codex se trouve à ce moment-là à Thérouanne, afin d’en faire faire une copie pour David de Bourgogne, bâtard de Philippe le Bon, évêque du diocèse puis évêque d’Utrecht (1456-1496). En réalité, la Cité de Dieu de Chevrot n’est plus jamais revenue à Tournai, mais a rejoint directement la riche librairie de Philippe le Bon.

Le frontispice, d’une qualité impressionnante (fol. 1), illustre le chapitre introductif du traité, avec un éloge écrit par Raoul de Presles pour son commanditaire, le roi de France Charles V. Un miniaturiste talentueux y a assemblé les différents éléments essentiels à la glorification de la monarchie française. Tandis que, dans le fond, s’étend un vaste paysage, le premier plan montre deux événements : le premier, du côté droit de la miniature, représente Clovis en roi, debout, richement vêtu d’un manteau de brocart bleu et or, sa couronne sur la tête et un sceptre à la main.

Chef des Francs, Clovis s’était converti en 496 à la religion chrétienne après sa victoire sur un chef païen à Conflans, près de Paris, devenant ainsi le premier roi de France chrétien. L’ange qui plane dans le ciel et lui présente le blason rappelle l’origine céleste des armoiries de la nation, les trois lis d’or sur un champ d’azur faisant référence à la Sainte Trinité. La légende raconte également que le Saint-Esprit lui-même apporta le saint chrême qui devait servir à l’onction de Clovis lors de son baptême par saint Rémi à Reims. Il est représenté sous la forme d’une colombe tenant dans son bec la sainte ampoule. Au premier plan, les rochers renvoient à la colline sur laquelle Clovis a livré bataille et dont le nom sera ensuite repris comme cri de victoire des rois de France : « Montjoie Saint-Denis ». À la gauche du roi, plantée dans l’herbe, on aperçoit l’oriflamme rouge feu qui accompagne l’armée franque.

La partie gauche de la miniature représente saint Augustin d’Hippone, sur une cathèdre, enseignant sa doctrine. Sur une plateforme pavée de biais, huit docteurs de la loi et théologiens assis sur un banc l’écoutent. Un peu à l’écart, un moine lit, face à deux frères. Le discours du Père de l’Église donne lieu à des discussions entre certains théologiens, tandis que d’autres sont plongés dans la méditation. Planant dans le ciel, un aigle, « roi des oiseaux », symbolise ici Charles V, comme l’écrit Raoul de Presles, tout en incarnant les qualités exceptionnelles de saint Augustin, qui, comme on peut le lire dans le texte sous la miniature, dispose de trois caractéristiques particulières ou « propriétés ». L’une d’elles est sa faculté de pouvoir regarder le soleil en face sans détourner les yeux, capacité explicitement illustrée dans la miniature et qui traduit le don particulier qu’a saint Augustin de contempler la Trinité sous son vrai visage sans être ébloui.

Le paysage vallonné, composé de chaînes de collines légèrement boisées, unit les deux événements. Le peintre parvient à conférer une profondeur majestueuse à cette vue panoramique d’une ville fortifiée dominée par une église gothique. La même ville, entourée d’une rivière que surplombe un pont, revient sur le panneau La Vierge à l’Enfant avec sainte Barbe, sainte Élisabeth et Jan Vos (New York, FC, inv. no 1954. 1. 161), daté des environs de 1443 et attribué à l’atelier de Jan Van Eyck.

Dans l’initiale, deux anges tiennent les armoiries de Chevrot. Les imposantes marges sont richement décorées de feuilles d’acanthe rouge, bleu et or ainsi que de rinceaux entourant des personnages : un moine copiste en haut, un ange jouant de la lyre, un homme à cheval revêtu d’un manteau rouge vu de profil, un ange jouant du luth et, en dessous, un autre homme à cheval, vu de dos. Les deux cavaliers semblent vouloir entrer dans la miniature. Ces décorations marginales se rapprochent du style caractéristique pratiqué à Bruges.

La miniature, probablement peinte à Bruges également, traduit l’influence eyckienne. Elle a été attribuée au miniaturiste anonyme de quelques miniatures des Heures de Turin-Milan qui a reçu le nom approprié de Maître de Jean Chevrot. Pour la composition générale, cet artiste reprend un ancien modèle, connu par une autre Cité de Dieu (Bruxelles, KBR, ms. 9005). Enluminé par un des miniaturistes les plus importants du groupe des Maîtres de Guillebert de Mets, ce codex qui appartenait à Gui Guilbaut († 1447), trésorier du duc de Bourgogne Philippe le Bon, possède un frontispice qui a probablement servi de modèle à l’exemplaire de Jean Chevrot. Il n’est pas impensable que cet évêque ait demandé à Cotin de compléter quelques cahiers déjà écrits et peints, mais non reliés, en ajoutant de nouveaux chapitres au texte théologique et en s’occupant de les faire illustrer. Le texte sous le frontispice se différencie en effet des folios suivants, qui eux-mêmes sont distincts de la dernière partie. Une analyse approfondie de l’écriture dans l’ensemble du manuscrit pourrait éclaircir la participation exacte de chaque copiste.

La qualité extraordinaire de cette miniature frontispice contraste nettement avec les neuf autres illustrations, chacune de la largeur d’une colonne, qui ont visiblement été peintes par un maître secondaire dans un style un peu grossier, bien qu’expressif. Celles-ci ne permettent d’ailleurs pas de localiser la réalisation du livre, car aucune similitude avec d’autres enluminures n’a été mise en évidence. Les quelques miniatures dont les cadres dépassent les décorations marginales ou la justification du texte (fol. 43v. et 96v.) signalent que la réalisation du livre s’est faite en plusieurs étapes.

Pour l’enluminure du deuxième volume de cette Cité de Dieu (Bruxelles, KBR, ms. 9016), des miniaturistes issus d’un autre milieu ont été sollicités. La miniature de présentation, de très haute qualité également, relève d’une main différente de celle du premier volume : les personnages présentent des proportions plus grandes et leurs visages sont modelés plus en détail. Ce miniaturiste semble s’être inspiré de la figure de Clovis du premier volume pour la physionomie du visage du roi sur son trône ; de même, le motif du brocart du vêtement de Clovis est repris dans le drap d’honneur. Plusieurs miniatures de ce deuxième volume ont été attribuées au Maître des Privilèges de Gand et de Flandre. Enfin, deux autres miniaturistes anonymes (notamment aux fol. 58, 82v. et 116) ont également collaboré au codex, mais leur œuvre ne peut être située de façon plus précise.

Saint Augustin est né à Thagaste en Numidie en 354. Contemporain de la chute de Rome et de sa prise par le Wisigoth Alaric en 410, il a un fort sentiment du caractère éphémère des puissances humaines. De race berbère, Augustin appartenait à une petite bourgeoisie dotée de la citoyenneté romaine. Il reçut l’éducation traditionnelle des jeunes gens assez aisés. Il connait une jeunesse tumultueuse et passe une première partie de sa vie dans le monde. Sa mère, Monique, était une fervente catholique, alors que son père était beaucoup plus indifférent à la religion nouvelle. Augustin se convertit à l’âge de 35 ans, il deviendra évêque d’Hippone.
Si les Confessions de Saint Augustin peuvent apparaître comme une entreprise autobiographique, elle n’a rien à voir avec celle de Rousseau. À partir de sa conversion, Augustin se penche sur sa vie. Plutôt que d’explorer les méandres de sa conscience ou de tenter de piéger son inconscient, il s’agit pour Augustin de faire croître sa connaissance de Dieu sans laquelle l’homme ne peut se connaître puisqu’il est image de la Trinité divine. C’est donc également sur une lecture de l’Ecriture que sont fondées les Confessions : « Les treize livres de mes Confessions louent le Dieu juste et bon de mes maux et de mes biens, ils élèvent vers Dieu l’intelligence et le cœur de l’Homme. »

© Bibliothèque royale de Belgique

  • Date
    15e siècle, vers 1445
  • Lieu
    Pays-Bas méridionaux
  • Auteur(es)
    Saint Augustin (354-430), auteur ; Raoul de Presles (1316-1382), traducteur
  • Description technique
    Peintures sur parchemin, environ 42 × 29 cm
  • Provenance

    Bruxelles, KBR, ms. 9015, fol. 1r

  • Lien permanent
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