Découvrir, comprendre, créer, partager

Image

Mademoiselle de Scudéri

Contes fantastiques
Mademoiselle de Scudéri
Le format de l'image est incompatible

« — J’étais encore un tout petit enfant que déjà les diamants et l’or exerçaient sur moi une véritable fascination. D’abord on n’y prit pas garde, mais quand on s’en aperçut, on ne vit dans cet irrésistible attrait qu’un caprice puéril, mais ce penchant se manifesta dans des conditions plus graves lorsque je fus devenu grand. Je ne pouvais voir ni or ni pierreries sans m’en emparer, et ce que l’on ne me donnait point je le volais. Je devins bientôt le plus exercé des connaisseurs dans tout ce qui avait rapport à la joaillerie, il eut été impossible de me faire prendre les bijoux faux pour vrais, et c’étaient ces derniers seuls qui me tentaient. J’aimais l’or pour l’or et non pour sa valeur et je n’en faisais aucun cas lorsqu’il était monnayé. Cependant mon père finit par s’alarmer de ce défaut et mit tout en œuvre pour me corriger, n’épargnant ni reproches ni menaces, ni châtiments corporels. Rien n’y fit, et pour pouvoir manier sans cesse l’or et les pierres précieuses, je devins bijoutier. J’étais d’une activité infatigable et bientôt l’art du joaillier n’eut plus de secrets pour moi. Je devins le premier maître de Paris. Alors ce penchant naturel que j’avais moi-même essayé de vaincre, reparut avec une violence irrésistible. Ce fut une passion qui envahit mon cœur comme un torrent renversant tout obstacle. Chaque fois que j’avais achevé et livré un bijou, j’étais en proie à une anxiété, à un chagrin qui me minait la santé. J’avais des insomnies, des spectres affreux me hantaient, je voyais nuit et jour parée de mes joyaux la personne à qui je les avais vendus et j’entendais une voix mystérieuse me dire sans cesse : « C’est à toi, c’est à toi, prends donc. » Je ne tardai pas, obéissant à mon instinct, à devenir escroc. Appelé souvent dans les maisons des grands, je profitais de la confiance que l’on avait en moi et à la première occasion, forçant les serrures qui ne résistaient pas à mon adresse, je faisais main basse sur la parure que j’avais fabriquée, mais j’avais beau rentrer en possession des bijoux, mon inquiétude ne se calmait pas et la voix mystérieuse me répétait toujours : « Oh ! oh ! c’est un mort qui porte tes bijoux. » Je ne compris pas tout d’abord le sens de ces paroles, mais peu à peu je ressentis pour tous ceux auxquels j’avais livré quelques parures, une haine indicible et j’éprouvais une soif de meurtre qui me faisait trembler moi-même. […]
Lorsque Cardillac eut cessé de parler, il me prit par la main et me fit descendre dans le couloir secret. Là je pus contempler la collection de ses bijoux. Le roi lui-même n’en a point de plus admirables. À chaque parure était attaché un petit papier sur lequel se trouvait écrit le nom de celui pour qui elle avait été faite et la date et les circonstances où elle avait été prise, grâce au vol ou à l’assassinat. »

E.T.A. Hoffmann, « Les bijoux fatals ou mademoiselle de Scuderi » dans L’Édition populaire, Bruxelles, 1915, p. 52-53 et p. 56.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1856
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    E.T.A. Hoffmann (1776-1822), auteur ; Émile de La Bédollière (1812-1883), traducteur ; Bertall (1820-1882), illustrateur ; Valentin Foulquier (1822-1896), illustrateur
  • Provenance

    BnF, département Littérature et art, Y2-2963

    E.T.A. Hoffmann, Contes fantastiques, Paris : G. Barba, 1856, p. 40.

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmv2f06cxv4z