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Le Concert

Recueil, tome 1. Musique et Musiciens
Le Concert
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« Le concert commença par une superbe symphonie ; puis les acteurs chantèrent le duo, puis un écolier de Vandini donna un concerto de violoncello, qu’on applaudit beaucoup. Mais voilà ce qui me causa la plus grande surprise. Henriette se lève, et louant le jeune homme qui avait joué l’a solo, elle lui prend son violoncello, lui disant d’un air modeste, et serein qu’elle allait le faire briller davantage. Elle s’assied à la même place où il était, elle prend l’instrument entre ses genoux, et elle prie l’orchestre de recommencer le concerto. Voilà la compagnie dans le plus grand silence ; et moi mourant de peur ; mais Dieu merci personne ne me regardait. Pour elle, elle ne l’osait pas. Si elle avait élevé sur moi ses beaux yeux, elle aurait perdu courage. Mais ne la voyant que se mettre en posture de vouloir jouer, j’ai cru que ce n’était qu’un badinage pour faire tableau, qui vraiment avait des charmes ; mais quand je l’ai vue tirer le premier coup d’archer, j’ai pour lors cru que la trop forte palpitation de mon cœur allait me faire tomber mort. Henriette ne pouvait prendre, me connaissant bien, autre parti que celui de ne me jamais regarder. Mais que devins-je quand je l’ai entendue jouer l’a solo, et lorsqu’après le premier morceau les claquements de mains avaient fait devenir presque sourd l’orchestre ? Le passage de la crainte à une exubérance de contentement inattendu me causa un paroxysme, dont la plus forte fièvre n’aurait pas pu dans son redoublement me causer le pareil. Cet applaudissement ne fit à Henriette la moindre sensation du moins en apparence. Sans détacher ses yeux des notes qu’elle ne connaissait que pour avoir suivi des yeux tout le concert pendant que le professeur jouait, elle ne se leva qu’après avoir joué seule six fois. Elle n’a pas remercié la compagnie de l’avoir applaudie ; mais se tournant d’un air noble, et gracieux vers le professeur elle lui dit qu’elle n’avait jamais joué sur un meilleur instrument. Après ce compliment elle dit d’un air riant aux assistants qu’ils devaient excuser la vanité qui l’avait induite à rendre le concert plus long d’une demi-heure.
Ce compliment ayant fini de me frapper, j’ai disparu pour aller pleurer dans le jardin, où personne ne pouvait me voir. Qui est donc Henriette ? Quel est ce trésor dont je suis devenu le maître ? Il me paraissait impossible d’être l’heureux mortel qui la possédait.
Perdu dans ces réflexions, qui redoublaient la volupté de mes pleurs, je serais resté là encore longtemps, si Du Bois lui-même ne fût venu me chercher et me trouver malgré les ténèbres de la nuit. »
Histoire de ma vie, I, p. 180v-181.

« Il est impossible qu’un homme qui n’a pas une passion décidée pour la musique, n’en devienne passionné quand celui qui l’exerce à la perfection est l’objet qu’il aime. La voix humaine du violoncello supérieure à celle de tout autre instrument m’allait au cœur lorsqu’Henriette en jouait et elle en fut convaincue. Elle me procurait ce plaisir tous les jours et je lui ai proposé de donner des concerts. »
Histoire de ma vie, I, p. 512.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    18e siècle
  • Lieu
    À Paris, chéz Chereau
  • Auteur(es)
    Gravure d’Antoine-Jean Duclos (1742-1795), d’après un dessin de Augustin de Saint-Aubin (1736-1807)
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la photographie, KD-3 (1)-FOL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1262000695