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Focus

L'impérieux besoin de se justifier

Rousseau apportant le manuscrit des Dialogues à Notre-Dame de Paris
Rousseau apportant le manuscrit des Dialogues à Notre-Dame de Paris

Bibliothèque nationale de France

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Les Confessions se développent à partir de l'impérieux besoin de se justifier, de prouver sa sincérité et de valider par là toute son œuvre antérieure. Mis en accusation, Rousseau répond en se montrant dans sa nudité, à la fois différent des autres et naturel, fidèle à la bonté originelle.

Les Confessions de saint Augustin retraçaient l'itinéraire d'une vie pour en donner une signification apologétique. Les mémorialistes classiques témoignaient d'une vie dans le siècle pour illustrer un nom, une foi, une mission. Le je restait second par rapport à des valeurs spirituelles ou terrestres supérieures. Rousseau proclame au début des Confessions la nouveauté d'« une entreprise qui n'eut jamais d'exemple ». Il accepte de dire l'individualité irréductible d'un moi dans tous ses détails, dans ses hontes, dans ses particularités physiques et sexuelles. « Voici le seul portrait d'homme, peint exactement d'après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais. » En douze livres, il relate sa vie jusqu'aux catastrophes de 1765. Il s'agit moins de dérouler des souvenirs que de restituer la vérité d'une conscience. Rousseau accepte, proclame, revendique sa différence.

Il ne suffit pourtant pas de montrer cette différence pour être reconnu sincère. Rousseau se sent prisonnier dans les lacs des faux-semblants et des mensonges. Il y répond par trois dialogues intitulés Rousseau juge de Jean-Jacques qui acceptent tactiquement le clivage imposé de l'extérieur entre le nom et le prénom. Rousseau s'entretient avec un Français des crimes commis par Jean-Jacques, il essaie ainsi de comprendre le complot qui l'entoure, l'étouffe, il veut reconstituer le paradoxe qui fait qu'un homme bon puisse être chargé de toutes les accusations. L'« Histoire du précédent manuscrit », à la fin des Dialogues, rend compte de la dernière tentative de Rousseau pour faire authentifier son texte par une référence religieuse : il veut déposer le manuscrit sur le grand autel de Notre-Dame et ne peut y accéder : les grilles du chœur sont fermées. Il est désormais livré à lui-même et aux autres dans un monde dénué de certitudes. Rousseau juge de Jean-Jacques peut être lu comme un texte fou, comme la mise en scène de l'écriture moderne prise dans les jeux de miroir des consciences.

L'enjeu est moins une réalité insaisissable que la sincérité. Après avoir tout dit selon le fil chronologique de sa vie, puis dans le labyrinthe des regards et des discours, Rousseau se met à écrire pour lui-même, il identifie le travail du souvenir, la remémoration, la sensation présente et l'écriture. Il rêve encore aux persécutions qu'il a subies (Rêveries du promeneur solitaire, livre I), à un accident qui, à Ménilmontant, lui a permis de se réveiller dans la pure conscience d'un présent, débarrassé de toute autre vicissitude (II), à ses convictions religieuses (III), à sa définition du vrai et du faux (IV), au bonheur qu'il a connu dans l'île Saint-Pierre (V), etc. Tels sont les thèmes successifs des dix Rêveries du promeneur solitaire que Rousseau laisse inachevées à sa mort. Entre la musique et la botanique qui ont été deux passions constantes de sa vie, il module les mots et les phrases au rythme de la sensation, du souvenir, de la conscience. La musique est un art du temps ; la botanique la jouissance de l'infinie variété de la nature ; la littérature, au-delà de toute finalité, accorde le temps qui passe et l'expérience sensible, la durée de la personne et la pure présence de l'instant.