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Focus

Les photographes de Gérôme

Deux modèles sur une terrasse
Deux modèles sur une terrasse

© Bibliothèque nationale de France

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Grand maître de la peinture orientaliste, Jean-Léon Gérôme fait à plusieurs reprises le voyage vers la lumière dorée de la Méditerranée. S'entourant d'artistes, il découvre l'Égypte, la Syrie, la Turquie aux côtés de photographes, qui immortalisent chacun à leur manière ses voyages.

Frédéric Auguste Bartholdi (1834-1904)

Lorsque Bartholdi partit pour l'Égypte en novembre 1855, il avait déjà une certaine expérience de la photographie, puisqu'il la pratiquait en amateur depuis l'été 1854. Chargé d'une mission officielle sans frais (comme Cammas), il voyagea agréablement avec Gérôme et les peintres Édouard Imer, Léon Belly et Narcisse Berchère. En dehors de séjours au Caire, à Thèbes et dans le Fayoum, le voyage s'articule, comme presque toujours, autour d'une remontée du Nil. La mission dont étaient en principe investis Gérôme et Bartholdi, et qui avait surtout pour eux la valeur d'un sauf-conduit, leur prescrivait de photographier « les principaux monuments et les types les plus remarquables des races diverses ».

Djerdjeh
Djerdjeh |

© Bibliothèque nationale de France

Les cent deux calotypes issus de ce voyage (Égypte et Yémen) sont à l'opposé exact de ce qu'avait rapporté Maxime Du Camp quelques années auparavant. Il privilégie les vues sans sujet défini, coins de rue poussiéreux, petits marchands, barques, arbres et paysages, portraits de ses compagnons sur le bateau descendant le Nil... Le tout avec un sens très sûr de la composition. Cela reste, par l'inspiration, une œuvre d'amateur.

Il se justifie de ne pas avoir fait plus de portraits d'indigènes, alléguant que ceux-ci sont incapables de tenir la pose : « Quand les individus (surtout de sexe féminin) se décident à vous poser, ils rient et ne restent pas un instant dans la même pose. Ici [à Aden] il en est de même, pourtant j'ai trouvé des hommes de la côte d'Afrique qui sont superbes et dont quelques-uns se sont résignés à rester tranquilles. » En effet, si l'on aperçoit de temps en temps une silhouette accroupie dans l'ombre ou la poussière, ce sont surtout ses compagnons européens qui ont posé pour lui.

Albert Goupil (1840-1884)

En 1868, Gérôme organise sa troisième expédition en Orient. À ce nouveau « voyage de peintres » (ils sont sept), il associe son beau-frère, Goupil, dans le rôle du photographe. L'itinéraire qui, en cinq mois, les mène d'Alexandrie à Beyrouth par le Sinaï, Pétra, Jérusalem, la mer Morte et Damas, est particulièrement bien documenté : on dispose des notes de Gérôme, du journal de voyage de Famars Testas, d'un livre écrit par Paul Lenoir et de multiples études et croquis réalisés en route.

Camp du photographe Albert Goupil avant le Sinaï 
Camp du photographe Albert Goupil avant le Sinaï  |

© Bibliothèque nationale de France

Le Sinaï avec le couvent de Sainte-Catherine
Le Sinaï avec le couvent de Sainte-Catherine |

© Bibliothèque nationale de France

Les photographies faites par Albert Goupil sont, d'un point de vue strictement technique, pour la plupart « ratées ». Goupil a rencontré des problèmes avec ses négatifs au collodion. Des coulures, des zébrures apparaissent sur certains clichés. D'autres ont des tonalités trop noires, spécialement des ciels de plomb dus à une forte luminosité mal maîtrisée. On note aussi des maladresses de cadrage, notamment dans les groupes, pris de trop loin. Pourtant nombre d'images sont d'intéressantes réussites et nous en apprennent long sur la collaboration entre peintres et photographes.

Le Caire
Le Caire |

© Bibliothèque nationale de France

Si certaines ont pu être prises motu proprio par Goupil, comme la vue générale du Caire, d'autres sont le fruit d'une étroite collaboration avec les peintres. Le 15 février, au Caire, Famars Testas fait venir un jeune modèle, Fatma, pour lui-même, Goupil et Journault (les autres étant partis se promener) : « Nous avons fait une étude et Goupil une photographie. » Cette très jolie scène, logiquement, se trouve dans l'album de Journault. On ne trouve pratiquement aucune photographie d'architecture, mais surtout des paysages, le Sinaï, le couvent de Sainte-Catherine, Pétra, l'escorte arabe des voyageurs, des groupes, la mer Morte, au total des notations qui correspondent exactement aux aquarelles et dessins amassés par Bonnat ou Gérôme.

Deux modèles sur une terrasse
Deux modèles sur une terrasse |

© Bibliothèque nationale de France

Les pères du couvent de Sainte-Catherine
Les pères du couvent de Sainte-Catherine |

© Bibliothèque nationale de France

En comparant avec un cliché de Goupil (Medinet-el-Fayoum, planche 12 de l'album) le tableau Femmes fellahs puisant de l'eau peint en 1870 par Gérôme, on peut constater que celui-ci a emprunté à la photographie tout le détail du décor – maisons, groupes de palmiers et d'arbres – et en a fait une scène de genre par l'ajout des femmes au bord de l'eau. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. En somme, Paul Lenoir parlait d'expérience en disant de Gérôme, dans la préface du livre de souvenirs qu'il consacra à ce voyage : « L'on pourrait dire que ses tableaux sont de la photographie, si la photographie était un art. »