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La Parque et l'Amour

La Parque et l’Amour
La Parque et l’Amour

© Musée d’Orsay / Patrice Schmidt

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Le goupe de la Parque et l'Amour fut envoyé par Gustave Doré au Salon de 1877 comme sa première grande oeuvre sculptée. Une grand ambition, que quelques critiques ne surent refroidir...

Première œuvre exposée par Doré au Salon de 1877, La Parque et l’Amour est une sculpture allégorique recherchée qui vaut manifeste de début ambitieux. Elle réunit Atropos, celle des trois Parques qui, dans la mythologie grecque antique, coupe le fil de l’existence, et le jeune Éros. Doré s’inscrit dans la tradition classique par son sujet et dans le naturalisme académique qui domine l’esthétique de la sculpture des années 1870. Jusqu’alors connue par les réductions en bronze ou en terre cuite commercialisées par Doré, cette œuvre inaugurale prend tout son sens avec la redécouverte du grand plâtre original, qui peut – grâce à la générosité de son propriétaire – être confronté pour la première fois depuis le 19e siècle, et lors de l’étape parisienne de l’exposition, à l’autre grand plâtre original connu, La Gloire étouffant le Génie. La composition triangulaire de La Parque et l’Amour est classiquement ramassée, ce qui n’est guère surprenant pour un premier essai en sculpture. Elle est rythmée par la pose élégante, praxitélisante, du jeune adolescent et se place, dans le traitement du lourd drapé enveloppant Atropos, dans la lignée des représentations de la Vierge et l’Enfant renaissantes. L’œuvre se veut savante par l’abondance des symboles, ciseaux (ou plutôt des sécateurs), sablier, carquois, quenouille, arc (aujourd’hui disparu)… qui alourdit quelque peu un ensemble déjà démonstratif, comme le souligna la critique lors de la deuxième présentation du groupe à l’Exposition universelle de 1878 : « Le nombre de statues qui visent à la profondeur est de plus en plus restreint. Cependant, on en voit toujours quelques-unes où il y a trop d’intentions, par exemple L’Amour et la Parque de M. Doré. »

Doré fit rarement simple et elliptique, mais sa première sculpture concentre sa démonstration de manière assez synthétique. Il comptait beaucoup sur le succès éventuel de cette première image forte, qui faillit d’ailleurs être refusée par le jury du Salon, comme il l’expliquait aux propriétaires de la galerie Doré à Londres : « Je vous envoie les épreuves de l’œuvre avec laquelle je vais me présenter au public dans huit jours au Salon (ma statue) et dont je crois qu’il serait fait grand bruit […]. Je ne manquerai pas de critiques et d’attaques car je crois qu’il y en a plus d’un que cela contrariera de me voir sculpteur, mais enfin, j’espère trouver aussi de bons défenseurs. » La Parque et l’Amour se distinguait, par sa masse et son sujet, des autres groupes imposants exposés cette année-là, tel l’Hercule et Omphale de Blanchard. Sur une vue du Salon conservée dans les précieux albums Michelez, le groupe de Doré domine figures isolées et bustes éparpillés au milieu des plantes vertes ; il n’est pas encore patiné bronze.

La réception fut plutôt favorable, marquée par l’étonnement général de cette nouvelle facette, convaincante, d’un talent aussi prolixe, mais ne fut pas à la hauteur des espérances de l’artiste. Le critique Charles Timbal résuma bien l’opinion commune, qui n’était pas sans injustice : « À quoi ne forces-tu pas les mortels, famae sacra fames ? M. Doré n’est pas content de n’être qu’un dessinateur, voire même qu’un peintre. Lui aussi, il a voulu faire œuvre de sculpteur, et vraiment, pour un débutant, il n’a pas trop échoué. La Parque et l’Amour offre de bonnes parties, presque suffisamment étudiées, où se retrouve avec plus de précision – sculpture oblige – la facilité du célèbre improvisateur. Le tout se présente avec la modestie d’une ébauche, et l’espoir secret d’être accepté comme quelque chose d’achevé ; mais il y manque ce je-ne-sais-quoi, sans lequel la plus belle des esquisses retourne à l’atelier et appelle de nouveau l’ébauchoir […]. Évidemment, il faut ranger M. Doré parmi ces enfants bien doués, mais quelquefois gâtés par leurs dons, qui réussissent à peu près dans tout ce qu’ils entreprennent. Avec tant de lauriers déjà placés sur sa tête, comment ne se tient-il pas pour satisfait et pourquoi ceux des autres l’empêchent-ils de dormir ? » D’autres appréciaient « la délicate précision bien surprenante de la part d’un homme qui pour la première fois a pétri la glaise et manié l’ébauchoir ». Castagnary expédia lapidairement ce début de Doré, mais quelle part de l’œuvre aurait pu trouver grâce à ses yeux ? « Nous constaterons avec tristesse, que, mauvais dessinateur et mauvais peintre, M. Gustave Doré vient d’ajouter à sa réputation celle de mauvais sculpteur. Quel bénéfice en tirera-t-il ? » Doré fut blessé de l’accueil réservé fait à son groupe, comme semble l’indiquer la caricature empathique de son ami Cham publiée dans Le Salon pour rire de 1877. Il n’en persévéra pas moins, ayant sans doute déjà bien avancé son prochain envoi, La Gloire étouffant le Génie et Le Poème de la vigne, comme en témoigne le Journal des Goncourt début septembre 1877.