Scribes et calligraphie dans la tradition indienne
Les étudiants et les savants copiaient eux-mêmes les textes dont ils avaient besoin. Mais l’Inde connaissait aussi les scribes professionnels qui écrivaient les documents officiels. Les monarques engageaient les plus habiles. La caste des kâyastha regroupait des copistes que les occupants moghols puis les Britanniques employèrent dans leur administration. Les graveurs reproduisaient sur pierre, plus ou moins fidèlement, les textes que leur donnaient les copistes. Les plus brillants signaient leurs inscriptions et n’hésitaient pas à y vanter leur propre dextérité.

Bhagavatapurana
La deuxième image de ce rouleau représente Ganesa flanqué de deux servantes, chacune portant un chasse-mouche. Celle qui lui fait face tient aussi, dans sa main gauche, une feuille de manuscrit. Le dieu à tête d’éléphant paraît lire ce feuillet et, dans sa main droite supérieure, il tient, semble-t-il, le reste du manuscrit. Ganesa n’est pas que lecteur, il est aussi un scribe : il aurait copié le Mahabharata sous la dictée du sage Vyasa, selon cette épopée même.
L’expression « Hommage à Ganesa ! », fréquente au début des manuscrits, souvent précédée de la syllabe « om », comme dans le texte de ce document, est censée faciliter la copie du texte : Ganesa aplanit les obstacles.
Le scribe commence sa copie dans une conjonction astrologique favorable, comme tout Indien traditionnel s’engageant dans une nouvelle entreprise. Le titre du texte, mentionné à la fin du manuscrit ou après un colophon intermédiaire, est parfois suivi du nom du scribe et de la date d’achèvement de sa copie : c’est un nommé Laksmana Bhatta qui termina en 1793 la copie en écriture micrographique du présent document. Souvent, une formule ultime souhaite bonne fortune au scribe et au lecteur.
Dans le bouddhisme surtout, la copie d’un manuscrit est un exercice pieux qui apporte des mérites à qui l’effectue ou la finance.
© Bibliothèque nationale de France
© Bibliothèque nationale de France
La notation séparée des unités syllabiques étant une caractéristique des écritures d’origine indienne, la cursive proprement dite, tracée avec rapidité sans lever la main, n’apparaît guère que dans des documents comptables ou administratifs. Plus fréquentes sont les écritures de main courante, telles la sarafî et la mahâjani en usage chez marchands et banquiers, où les vocalisations sont souvent omises.
L’Inde n’a pas ignoré l’esthétique de l’écriture. Épigraphie et manuscrits montrent des calligrammes où les caractères des poèmes, sanscrits ou télougous, s’inscrivent dans des dessins géométriques ou figuratifs, telles des représentations de serpents, d’épées, de chars. Le génie du copiste ou du graveur se mesurait à son habileté dans le dessin des lettres dites « à torsades », kuila. Les caractères des inscriptions sont parfois ornés de dessins de feuillages et d’autres formés à la ressemblance d’animaux et d’oiseaux. Difficiles à déchiffrer, ceux dits « en coquillage » se répandirent jusqu’à Java (5e siècle ? ). Dans les manuscrits, l’écriture est plus ou moins soignée. La calligraphie est plus fréquente dans le bouddhisme, pour lequel copier un texte est un acte pieux, conception présente mais moins importante dans l’hindouisme. Le bouddhisme, quoique originaire de l’Inde, en a presque disparu : ses manuscrits calligraphiés de type indien proviennent surtout des confins et de l’extérieur du sous-continent, en particulier des régions himalayennes, de Ceylan et de l’Indonésie.