Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

Les Romances sans paroles vues par la critique

Si la première parution des Romances sans paroles, en 1874, a été quasiment ignorée à sa sortie, le recueil s'impose progressivement dans le milieu symboliste comme un chef d'œuvre de la poésie.

Émile Blémont : une poésie maladivement musicale

« Nous venons de recevoir les Romances sans paroles de Paul Verlaine. C’est encore de la musique, musique souvent bizarre, triste toujours, et qui semble l’écho de mystérieuses douleurs. Parfois une singulière originalité, parfois une malheureuse affectation de naïveté ou de morbidesse. […] Cela n’est-il pas musical, très musical, maladivement musical ? Il ne faut pas s’attarder dans ce boudoir. »

Émile Blémont dans Le Rappel, 16 avril 1874.

Jean Mario : des sensations en demi-teinte

« Cela s’appelle une Romance sans paroles, un titre fou, n’est-ce pas ? – et très justifié. Mais cette folie est adorable, ce mélange d’insaisissable et de précis est dans la nature ; c’est une sensation morale et physique que nous avons tous éprouvée souvent et qui voulait, pour s’exprimer, cette infinie délicatesse, cette perfection de demi-teinte et de demi-ton. »

Jean Mario, « Paul Verlaine » dans La Nouvelle Rive gauche, 9-16 février 1883.

Joris-Karl Huysmans : une métrique nouvelle

« Maniant mieux que pas un la métrique, il avait tenté de rajeunir les poèmes à forme fixe : le sonnet qu’il retournait, la queue en l’air, de même que certains poissons japonais en terre polychrome qui posent sur leur socle, les ouïes en bas ; ou bien il le dépravait, en n’accouplant que des rimes masculines pour lesquels il semblait éprouver une affection ; il avait également et souvent usé d’une forme bizarre, d’une strophe de trois vers dont le médian restait privé de rime, et d’un tercet, morime, suivi d’un unique vers, jeté en guise de refrain et se faisant écho avec lui-même tels que les "Streets" : "Dansons la Gigue". »

Joris-Karl Huysmans, À rebours, 1884.

Louis Despres : une ivresse grinçante

« Nous ne retrouvons notre poète que trois ans plus tard, à Bruxelles, sur le champ de foire de Saint-Gilles, grisé par la musique grinçante, par la foule idiote et joyeuse, et par le tournoiment des chevaux en bois. […] Il y a un désir de vertige dans cette superbe poésie-là. Et comme l’artiste jalouse ce "gros soldat et cette plus grosse bonne" qui tournent "au son joyeux des tambours" ! Contre le regret et le remords du doux bonheur, si rêvé, si vite et si imprudemment brisé, contre les sanglots qui montent aux lèvres et les larmes qui montent aux yeux, à la pensée de la famille irrémédiablement perdue et de la vie irrémédiablement désolée, il n’y a tout d’abord que l’ivresse des foules et l’ivresse des voyages. »

Louis Despres, « M. Paul Verlaine », La Revue indépendante, juin 1884.

Maurice Barrès : tendresse et tristesse

« […] dans les Romances sans paroles, nous sommes bien loin de Baudelaire. Ce sont des plaintes qui meurent avec une tendresse incomparable, des murmures d’amour tristes à faire pleurer. C’est le dernier degré de l’énervement dans une race épuisé. C’est de l’art, parfois le plus exquis que nous sachions. »

Maurice Barrès, « La folie de Charles Baudelaire » dans Le Monde poétique, février 1885.