La Renaissance culturelle carolingienne

Saint Grégoire Ier inspiré par l’Esprit
Ce petit cahier est sans doute le début d’un sacramentaire destiné à Charles le Chauve, qui n’a pas été terminé. Le décor exceptionnel, dû à un très grand artiste, permet d’imaginer ce qu’aurait été l’ensemble. Cette peinture pleine page particulièrement soignée représente le pape Grégoire, inspiré par le Saint Esprit, dictant son sacramentaire à deux scribes dont l’un ouvre un coffre plein de livres.
Pape au tournant des 6e et 7e siècles, Grégoire le Grand est l'auteur du sacramentaire dit « grégorien » dont Charlemagne a imposé l'usage dans la liturgie franque. Suivant une tradition antique du portrait d'auteur, il est représenté dans une position frontale sur un luxueux trône serti de pierres précieuses, la tête tournée vers le prince et les dignitaires ecclésiastiques placés en regard.
Sous l'inspiration de l'Esprit Saint, il dicte son ouvrage à deux scribes assis à ses pieds. L'un soulève un pan du rideau le séparant du saint. Il s'agit sans doute de Pierre Diacre, le secrétaire et disciple de Grégoire le Grand. Selon la légende, intrigué par les pauses fréquentes observées par Grégoire lorsqu'il dictait les homélies sur Ezéchiel, celui-ci perça un petit trou dans le rideau placé derrière lui et aperçut la colombe du Saint-Esprit en train de souffler littéralement les paroles au pape, son bec dans ses lèvres. Le second copiste, quant à lui, trace les paroles du saint sur un manuscrit à l'aide d'un stylet, un coffre à livres ouvert à ses pieds. Un travail de copie prescrit par saint Benoît dans la règle que Grégoire recommanda à tous les monastères.
Souvent représentée dans les portraits d'évangélistes ornant les livres d'Évangiles, l'activité de copie se déroulait essentiellement dans les scriptoria des monastères ou des églises cathédrales durant le haut Moyen Âge. Du verbe latin scribere, « écrire », le scriptorium désigne l'atelier dans lequel les religieux réalisaient des copies manuscrites. Ils travaillaient en équipe, encadrés par des chefs d'atelier qui distribuaient puis contrôlaient et corrigeaient leur travail afin que les textes édités soient les meilleurs possibles. Des échanges, des prêts entre établissements religieux ou des achats de manuscrits fournissaient alors les modèles indispensables.
Le style pictural de la scène, le modelé souple et ondoyant des drapés et la carnation blanche des visages évoquent l'art des scriptoria rémois, dont l'influence s'est propagée bien au-delà de la région champenoise grâce à la circulation des artistes d'un centre à l'autre. La peinture est enchâssée dans un riche cadre d'acanthes et devait recevoir une légende dans le cartouche de pourpre.
Bibliothèque nationale de France
Le renouveau, qui prend toute son ampleur sous Charlemagne, débute avec la réforme religieuse entreprise par Pépin III le Bref, entraînant la fondation d’abbayes qui deviendront des foyers culturels importants.
La réorganisation des institutions engagée par Charlemagne donne une place essentielle à l’écrit : l’empereur gouverne en émettant des capitulaires, diffusés dans tout le pays par ses envoyés (les missi dominici) qui en surveillent l’application ; la restructuration de l’enseignement passe par la révision des textes sacrés et la redécouverte de textes anciens. Les livres se multiplient et participent à l’épanouissement de la création artistique. Charlemagne et ses successeurs passent commande de manuscrits de luxe, qui viendront enrichir leurs trésors et ceux des églises. Dirigés par de grands personnages érudits venant de toute l’Europe, ces lieux de production de manuscrits — monastères, cathédrales, ou palais — vont constituer des foyers intellectuels et artistiques, développant leur esthétique propre, tout en s’influençant les uns les autres. Les œuvres circulent d’un centre à l’autre, diffusant la culture carolingienne, fondement de la culture du Moyen Âge et de la civilisation européenne.
Le renouveau artistique s’observe dans tous les domaines : peinture murale, mosaïque, sculpture, orfèvrerie, architecture. On peut encore en admirer un témoignage dans l’église de Germigny-des-Prés, construite à l’initiative de Théodulfe, évêque d’Orléans, avec la mosaïque de l’abside orientale, composée sur place en 805, qui représente l’Arche d’Alliance. À la fin du 9e siècle, privée du soutien royal, cette intense activité créatrice déclinera, tandis que les invasions normandes porteront un coup fatal à de nombreux centres.
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