L'album, emblème de l'évolution du livre pour enfants

Max et les maximonstres
À la fin des années 1960, Robert Delpire est à l’origine du renouvellement du livre d’images en France. À ses yeux, les livres pour enfants doivent avoir la même rigueur et la même qualité que les livres pour adultes. En faisant le choix de traduire et d’éditer l’ouvrage de Maurice Sendak (né en 1928), Where the Wild Things Are, publié à New York chez Harper and Row en 1963, c’est, à travers l’histoire de Max, à la fois l’univers de l’inconscient enfantin qui est exploré, et un univers graphique totalement novateur. Max fait des bêtises : « Monstre, lui dit sa mère. Je vais te manger, répondit Max et il se retrouva au lit sans rien avoir mangé du tout. Ce soir-là, une forêt poussa dans la chambre de Max […]. » Au fur et à mesure du récit, l’image prend son indépendance, s’insère dans la page, l’envahit progressivement, la bouscule et devient un texte parallèle, voire se suffit à elle-même. Le génie de Sendak est d’avoir laissé à l’image le soin de raconter ce qui constitue le point d’orgue de son récit, à savoir le moment où Max s’amuse comme un fou avec les monstres qui l’ont sacré roi. Dans cette double page muette, le tout-petit peut mettre ses propres mots sur ce qu’il voit et être le véritable narrateur, les adultes étant généralement déboussolés par des histoires sans parole. Mais fatigué, affamé, Max finit par se lasser de la fête et tout rentre dans l’ordre : l’image retrouve le texte et Max retourne dans sa chambre où son dîner l’attend « tout chaud ». (C. G.-B.)
© Bibliothèque nationale de France
Dans l’histoire du livre pour enfants, la place de l’image est prépondérante. Chaque renouvellement passe par elle... quand elle n’en est pas à l’origine. On l’observe facilement en prenant pour exemple ce qui se passe avec l’album, qui se différencie du livre illustré par l’utilisation qui est faite de l’image. Dans le livre, l’image illustre une scène du récit dans un espace limité à la page, tandis qu’elle se libère dans l’album, envahissant le texte et le concurrençant dans ses fonctions narratives et didactiques. Elle ne se contente plus d’illustrer, elle complète, précise, explique, ou apporte un contrepoint. L’écrit lui-même devient image quand l’art graphique joue avec la typographie. Le support éclate dans des formats variés, carrés, oblongs ou démultipliés par des pages en accordéon. Cependant, la frontière est mince entre le livre d’images et l’album et, selon les époques, les éditeurs eux-mêmes entretiennent l’ambiguïté.
Aujourd’hui, et de façon grandissante depuis la fin des années 1960, l’album pour enfants est devenu un champ de création littéraire et artistique d’une extraordinaire richesse où auteurs, dessinateurs, peintres, graphistes exercent leurs talents, réinventant sans cesse les associations de l’image et du texte.
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