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Extrait

Charles Baudelaire parle de Pétrus Borel

Charles Baudelaire, L’Art romantique, XV. Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, 1852

Il y a des noms qui deviennent proverbes et adjectifs. Quand un petit journal veut en 1859 exprimer tout le dégoût et le mépris que lui inspire une poésie ou un roman d’un caractère sombre et outré, il lance le mot : Pétrus Borel ! et tout est dit. Le jugement est prononcé, l’auteur est foudroyé.

[…]

Plus d’une personne se demandera sans doute pourquoi nous faisons une place dans notre galerie à un esprit que nous jugeons nous-même si incomplet. C’est non seulement parce que cet esprit si lourd, si criard, si incomplet qu’il soit, a parfois envoyé vers le ciel une note éclatante et juste, mais aussi parce que dans l’histoire de notre siècle il a joué un rôle non sans importance. Sa spécialité fut la Lycanthropie. Sans Pétrus Borel, il y aurait une lacune dans le Romantisme.

[…]

Pour moi, j’avoue sincèrement, quand même j’y sentirais un ridicule, que j’ai toujours eu quelque sympathie pour ce malheureux écrivain dont le génie manqué, plein d’ambition et de maladresse, n’a su produire que des ébauches minutieuses, des éclairs orageux, des figures dont quelque chose de trop bizarre, dans l’accoutrement ou dans la voix, altère la native grandeur. Il a, en somme, une couleur à lui, une saveur sui generis ; n’eût-il que le charme de la volonté, c’est déjà beaucoup ! mais il aimait férocement les lettres, et aujourd’hui nous sommes encombrés de jolis et souples écrivains tout prêts à vendre la muse pour le champ du potier.

Charles Baudelaire, Œuvres complètes, tome 3, Paris : Michel Lévy frères, 1868-1870, p. 350-354.
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