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Extrait

Suzanne refuse les avances du Comte

Acte I, Scène 8

SUZANNE, LE COMTE, CHÉRUBIN caché.

SUZANNE aperçoit le comte. Ah !
(Elle s'approche du fauteuil pour masquer Chérubin.)
LE COMTE s'avance. Tu es émue, Suzon ! tu parlais seule, et ton petit cœur paraît dans une agitation… bien pardonnable, au reste, un jour comme celui-ci.
SUZANNE, troublée. Monseigneur, que me voulez-vous ? Si l'on vous trouvait avec moi.
LE COMTE. Je serais désolé qu'on m'y surprît ; mais tu sais tout l'intérêt que je prends à toi. Basile ne t'a pas laissé ignorer mon amour. Je n'ai qu'un instant pour t'expliquer mes vues ; écoute.
(Il s'assied dans le fauteuil.)
SUZANNE, vivement. Je n'écoute rien.
LE COMTE lui prend la main. Un seul mot. Tu sais que le roi m'a nommé son ambassadeur à Londres. J'emmène avec moi Figaro, je lui donne un excellent poste ; et comme le devoir d'une femme est de suivre son mari.
SUZANNE. Ah ! si j'osais parler !
LE COMTE la rapproche de lui. Parle, parle, ma chère ; use aujourd'hui d'un droit que tu prends sur moi pour la vie.
SUZANNE, effrayée. Je n'en veux point, monseigneur, je n'en veux point. Quittez-moi, je vous prie.
LE COMTE. Mais dis auparavant.
SUZANNE, en colère. Je ne sais plus ce que je disais.
LE COMTE. Sur le devoir des femmes.
SUZANNE. Eh bien ! lorsque monseigneur enleva la sienne de chez le docteur, et qu'il l'épousa par amour ; lorsqu'il abolit pour elle un certain affreux droit du seigneur.
LE COMTE, gaiement. Qui faisait bien de la peine aux filles ! Ah ! Suzette, ce droit charmant ! si tu venais en jaser sur la brune, au jardin, je mettrais un tel prix à cette légère faveur.
BASILE parle en dehors. Il n'est pas chez lui, monseigneur.
LE COMTE se lève. Quelle est cette voix ?
SUZANNE. Que je suis malheureuse !
LE COMTE. Sors, pour qu'on n'entre pas.
SUZANNE, troublée. Que je vous laisse ici ?
BASILE crie en dehors. Monseigneur était chez madame, il en est sorti : je vais voir.
LE COMTE. Et pas un lieu pour se cacher ! Ah ! derrière ce fauteuil… assez mal ; mais renvoie-le bien vite.
(Suzanne lui barre le chemin ; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page : mais pendant que le comte s'abaisse et prend sa place, Chérubin tourne, et se jette effrayé sur le fauteuil, à genoux, et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil.)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
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