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Extrait

La littérature à l'estomac

Julien Gracq, La littérature à l’estomac, Éditions José Corti, 1950
Quelques mois après la réception sévère de sa pièce Le Roi pêcheur, Julien Gracq publie dans la revue littéraire Empédocle un pamphlet contre l'inféodation de la littérature à des logiques marchandes, mondaines ou médiatiques ; il s'y moque notamment des prix littéraires.

C'est sur cette adhésion donnée dans le secret du cœur que se fonde la prise d'un écrivain sur son public, la « société secrète » qu'il a peu ou prou créée, sur laquelle il n'a que de très vagues indices, et qu'il ne dénombrera jamais (heureusement). C'est par elle seule qu'il est, s'il est quelque chose. C'est là toujours que reviennent s'agacer ses doutes, quand il s'interroge sur le plus ou moins fondé de l'idée singulière qui lui est venue d'écrire ; il intéresse, ce n'est pas douteux, il a un public, une « situation », on parle de lui, il reçoit des lettres, des coupures de presse - qui sait, il gagne peut-être même de l'argent (que de fantômes obligeants, et remplaçables, autour de sa table de travail, pour rassurer), mais là n'est pas la question ; il y a un « tout ou rien » lancinant auquel il n'échappera pas : a-t-il été, ne fût-ce qu'une brève minute, « un dieu pour eux », pénétré, ne fût-ce qu'une fois, au cœur de la place, a-t-il provoqué cette sensation insolite, en effet, de « vent autour des tempes », où le cœur hésite, les a-t-il suspendus, un instant irrespirable, à ce quite de l'éternité 

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