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Extrait

L’abolition dans la constitution

Victor Hugo, La peine de mort, Discours du 15 septembre 1848 à l’Assemblée constituante
 
La révolution de 1848, qui instaure en France la Deuxième République, suscite un vent d’espoir en terme de réformes sociale. Victor Hugo, élu député à la nouvelle Assemblée constituante, cherche à faire inscrire l'abolition de la peine de mort dans la nouvelle constitution. Il mêle dans son argumentaire appel au progrès, sentiment religieux et réflexion philosophique.

[…] Vous venez de consacrer l'inviolabilité du domicile ; nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore : l'inviolabilité de la vie humaine.

Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est nécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n'est point un pas dans la civilisation, elle n'est rien. (Très bien ! très bien !)

Eh bien ! songez-y, qu'est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. (Sensation.)

Ce sont là des faits incontestables. L'adoucissement de la pénalité est un grand et sérieux progrès. Le dix-huitième siècle, c'est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvième siècle abolira certainement la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! oui !)

[…] Vous écrivez en tête du préambule de votre constitution : « En présence de Dieu », et vous commenceriez par lui dérober, à ce Dieu, ce droit qui n'appartient qu'à lui, le droit de vie et de mort ! (Très bien ! très bien !)

Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois ! (Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses propositions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.)

[…] Eh bien ! dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple : vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l'autre : renversez l'échafaud ! (Applaudissements à gauche. Protestations à droite.)

Je vote l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort.

Victor Hugo, « La Peine de mort », Œuvres complètes de Victor Hugo. Actes et paroles. 1. Avant l’exil 1841-1851, Paris : Albin Michel, 1937, p. 136-137.
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