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Extrait

D’une seule parole ils défont la moitié du Monde

Marie de Gournay, Égalité des hommes et des femmes, 1622
Femme de lettres française, éditrice des Essais de Montaigne, Marie de Gournay  plaide, dès les 17e siècle pour une égalité parfaite entre les hommes et les femmes. Son discours, nettement féministe, s'appuie sur des arguments intellectuels et religieux, ne rechignant pas à choisir ses exemples chez les auteurs antiques. Extraits choisis.

Il ne suffit pas à quelques gens de préférer [aux femmes] le sexe masculin, s’ils ne les confinaient encore d’un arrêt irréfragable et nécessaire à la quenouille, oui même à la quenouille seule. […] D’autant qu’ils ont ouï trompéter par les rues, que les femmes manquent de dignité, manquent aussi de suffisance, voire du tempérament et des organes pour arriver à cette-ci, leur éloquence triomphe à prêcher ces maximes : et tant plus opulemment, de ce que, dignité, suffisance, organes et tempérament sont beaux mots : n’ayant pas appris d’autre part, que la première qualité d’un mal habill’homme, c’est de cautionner les choses sous la foi populaire et par ouï-dire.

[...] Gens plus braves qu’Hercule vraiment, qui ne défit que douze monstres en douze combats ; tandis que d’une seule parole ils défont la moitié du Monde.

Que si les dames arrivent moins souvent que les hommes, aux degrés d’excellence, c’est merveille que le défaut de bonne instruction, voire l’affluence de la mauvaise expresse & professoire ne fasse pis, les gardant d’y pouvoir arriver du tout. […] Je dis de gros en gros, car en détail les dames d’Italie triomphent par fois : et nous en avons tiré deux Reines à la prudence desquelles la France a trop d’obligation.

[…] Plutarque au Traité des vertueux faits des femmes maintient que la vertu de l’homme et de la femme est même chose. Sénèque d’autre part publie aux Consolations qu’il faut croire que la Nature n’a point traité les dames ingratement, ou restreint et raccourci leurs vertus et leurs esprits, plus que les vertus et les esprits des hommes : mais qu’elle les a douées de pareille vigueur et de pareille faculté à toute chose honnête et louable. Voyons ce qu’en juge après ces deux, le tiers chef du triumvirat de la sagesse humaine et morale en ses Essais.

Pour le regard de la loi Salique, qui prive les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inventée au temps de Pharamond, pour la seule considération des guerres contre l’Empire duquel nos Pères secouaient le joug : le sexe féminin étant vraisemblablement d’un corps moins propre aux armes, par la nécessité du port et nourriture des enfants.

[…] Bien a servi cependant aux Français, de trouver l’invention des régentes, pour un équivalent des rois ; car sans cela combien y a-t-il que leur État fut par terre.

Au surplus l’animal humain n’est homme ni femme, à le bien prendre, les sexes étant faits non simplement, mais secundum quid, comme parle l’Eschole : c’est à dire pour la seule propagation. L’unique forme et différence de cet animal, ne consiste qu’en l’âme humaine. Et s’il est permis de rire en passant, le quolibet ne sera pas hors de saison, nous apprenant qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenêtre, que la chatte. L’homme et la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut créé mâle et femelle, dit l’Écriture, ne comptant ces deux que pour un. Dont Jésus-Christ est appelé fils de l’homme, bien qu’il ne le soit que de la femme.

[…] D’ailleurs, l’avantage qu’ont les hommes par son incarnation en leur sexe (s’ils en peuvent tirer un avantage, vue cette nécessité remarquée) est compensé par sa conception très précieuse au corps d’une femme, par l’entière perfection de cette femme, unique à porter nom de parfaite entre toutes les créatures purement humaines, depuis la chute de nos premiers parents, et par son assomption unique en sujet humain aussi.

Finalement si l’Écriture a déclaré le mari, chef de la femme, la plus grande sottise que l’homme peut faire, c’est de prendre cela pour passe-droit de dignité. […] Et quand bien il serait véritable, selon ce que quelques-uns maintiennent, que cette soumission fut imposée à la femme pour châtiment du péché de la pomme : cela encore est bien éloigné de conclure à la prétendue préférence de dignité en l’homme. Si l’on croyait que l’Écriture lui commandât de céder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’absurdité qui suivrait : la femme se trouverait digne d’être faite à l’image du Créateur, de jouir de la très sainte Eucharistie, des mystères de la Rédemption, du Paradis et de la vision voire possession de Dieu, non pas des avantages et privilèges de l’homme : ne serait-ce pas déclarer l’homme plus précieux et relevé que telles choses, et partant commettre le plus grief des blasphèmes ?

Marie de Gournay, Égalité des hommes et des femmes, 1622 (orthgraphe modernisée)
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