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Extrait

La liberté d'expression aux prises avec la Révolution

Olympe de Gouges, Discours devant le tribunal révolutionnaire, 1793
En 1793, au plus fort de la Révolution, Olympe de Gouges est arrêtée et jugée. Dans le discours qu'elle prononce pour sa défense, elle se réclame de la liberté d'expression. Elle est néanmoins guillotinée le 3 novembre 1793.

Les lois républicaines nous promettaient qu’aucune autorité illégale ne frapperait les citoyens ; cependant un acte arbitraire, tel que les inquisiteurs, même de l’ancien régime, auraient rougi d’exercer sur les productions de l’esprit humain, vient de me ravir ma liberté, au milieu d’un peuple libre.

À l’article 7 de la Constitution, la liberté des opinions et de la presse n’est-elle pas consacrée comme le plus précieux patrimoine de l’homme ? Ces droits, ce patrimoine, la Constitution même, ne seraient-ils que des phrases vagues, et ne présenteraient-ils que des sens illusoires ? hélas ! j’en fais la triste expérience ; républicains, écoutez-moi jusqu’au bout, avec attention.

Depuis un mois, je suis aux fers ; j’étais déjà jugée, avant d’être envoyée au Tribunal révolutionnaire par le sanhédrin de Robespierre, qui avait décidé que dans huit jours je serais guillotinée. Mon innocence, mon énergie, et l’atrocité de ma détention ont fait faire sans doute à ce conciliabule de sang, de nouvelles réflexions ; il a senti qu’il n’était pas aisé d’inculper un être tel que moi, et qu’il lui serait difficile de se laver d’un semblable attentat ; il a trouvé plus naturel de me faire passer pour folle. Folle ou raisonnable, je n’ai jamais cessé de faire le bien de mon pays ; vous n’effacerez jamais ce bien et malgré vous, votre tyrannie même le transmettra en caractères ineffaçables chez les peuples les plus reculés ; mais ce sont vos actes arbitraires et vos cyniques atrocités qu’il faut dénoncer à humanité et à la postérité. Votre modification à mon arrêt de mort me produira un jour un sujet de drame bien intéressant ; mais je continue de te poursuivre caverne infernale ; où les furies vomissent à grands flots le poison de la discorde que ces énergumènes vont semer dans toute la république, et produire la dissolution entière de la France, si les vrais républicains ne se rallient pas autour de la statue de la liberté. Rome aux fers n’eût qu’un Néron, et la Francs libre en a cent.

Citoyens, ouvrez les yeux, il est temps, et ne perdez pas de vue ce qui suit :
J’apporte moi-même mon placard chez l’afficheur de la commune qui en demanda la lecture ; sa femme, que je comparais dans ce moment à la servante de Molière, souriait et faisait des signes d’approbation pendant le cours de cette lecture ; il est bon, dit-elle, je l’afficherai demain matin.

Quelle fut ma surprise le lendemain ? je ne vis pas mon affiche ; je fus chez cette femme lui demander le motif de ce contretemps. Son ton et sa réponse grotesques m’étonnèrent bien davantage : elle me dit que je l’avais trompée, et que mon affiche gazouillait bien différemment hier qu’elle ne gazouille aujourd’hui.

C’est ainsi, me disais-je, que les méchants, parviennent à corrompre le jugement sain de la nature ; mais, ne désirant que le bien de mon pays, je me portai à dire à cette femme que je ferais un autodafé de mon affiche, si quelque personne capable d’en juger, lui eût dit qu’elle pouvait nuire a la chose publique. Cet évènement m’ayant fait faire quelques réflexions sur la circonstance heureuse qui paraissait ramener les départements m’empêcha de publier cette affiche. Je la fis passer au comité de salut public, et je lui demandai son avis, que j’attendais sa réponse pour en disposer.

Deux jours après je me vis arrêtée et traînée à la mairie, où je trouvais le sage, le républicain, l’impassible magistrat Marino. Toutes ces rares qualités, vertus indispensables de l’homme en place, disparurent à mon aspect. Je ne vis plus qu’un lion rugissant, un tigre déchaîné, un forcené sur lequel un raisonnement philosophique n’avait fait qu’irriter les passions ; après voir attendu trois heures en public son arrêt, il dit en inquisiteur à ses sbires : conduisez madame au secret, et que personne au monde ne puisse lui parler.

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