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Extrait

Isabelle Havelange, « La pédagogie à la cour de France (sur Madame de Genlis) »

Isabelle Havelange
D'après « Madame de Genlis (1746-1830), ou la pédagogie à la Cour de France », Le Magasin des enfants, la littérature pour la jeunesse (1750-1830), Bibliothèque Robert Desnos, Montreuil, 1988

A l'origine, un simple divertissement…
Fille d'un gentilhomme désargenté, madame de Genlis épouse à seize ans un brillant officier, le comte de Genlis et, dès lors, commence à écrire. Pendant l'hiver 1777, elle donne trois petites comédies pour ses filles, Caroline et Pulchérie, alors âgées de onze et dix ans, et les fait jouer sur un théâtre de société, devant un public de soixante personnes. Elle écrit ensuite deux autres pièces qui sont jouées cette fois devant un public de cinq cents personnes. Ce divertissement soulève l'enthousiasme. L'intrigue adroite ne contient aucun rôle d'homme ni aucun sentiment d'amour. Elle s'inscrit dans le quotidien. La spécificité de ces petits drames est de procurer un divertissement et une édification morale. Le texte simple, allié à la grâce et au talent des jeunes filles, fait découvrir à la société parisienne pourtant blasée un genre de spectacle nouveau et réussi. Le ton naturel des scènes renouvelle le genre.

Un succès fertile
Au départ, Madame de Genlis n'avait pas écrit ces comédies pour enfants dans le but de les publier. Leur succès, qui dépasse toutes ses prévisions, l'amène à envisager cette éventualité. Mais elle craint, en entamant une carrière d'écrivain, de compromettre son rang de dame à la Cour, que son mariage lui a permis. Aussi accepte -t- elle le prétexte que lui fournit l'avocat Gerbier de faire imprimer ses pièces par souscription au profit d'une œuvre charitable. L'édition d'un volume in-octavo, sous le titre de Théâtre à l'usage des jeunes personnes…, est tirée en grand nombre en juin 1779. Elle s'enlève en cinq jours et se voit traduite en russe et en allemand. Le public et la critique font à ce premier volume un accueil enthousiaste. Tous les journaux publient des éloges sans réserve, célébrant le succès de ce nouveau théâtre pour enfants. Tous reconnaissent qu'il s'agit là de petits chefs-d'œuvre très achevés et très enlevés, qui témoignent, pour un premier ouvrage, du talent littéraire de l'auteur, de sa science du théâtre et de son goût pour l'éducation.
Pour répondre à l'attente du public, madame de Genlis se remet au travail et donne, moins d'un an après le premier, trois autres volumes, soit quinze pièces de théâtre d'éducation. Le quatrième volume est destiné à l'éducation des enfants de marchands, d'artisans, aux femmes de chambre et aux filles de boutique. C'est sur les comptoirs, et non plus seulement dans une vaste bibliothèque, qu'elle souhaite le trouver. Pour la remercier d'avoir fait un ouvrage pour les enfants du peuple, les six corps de marchands de Paris lui envoient une députation et lui remettent une adresse. Madame de Genlis a franchi le pas. Elle change de public et se comporte désormais en véritable auteur.

Madame de Genlis, écrivain et éducatrice
Très en faveur à la Cour, vraisemblablement maîtresse du duc de Chartres, elle est nommée en 1782 – fait exceptionnel pour une femme – « gouverneur » des enfants d'Orléans. Elle s'installe alors avec eux et ses propres filles dans le pavillon de Bellechasse, à Paris, et y dirige leur éducation de 1782 à 1789. Cette nomination lui attire l'inimitié des courtisans, qui se croyaient des droits à cet honneur, et qui rejoignent encyclopédistes et philosophes dont la comtesse méprise hautement les principes (tout en adoptant parfois leurs opinions). Les huit années à Bellechasse ne lui en apportent pas moins la gloire hautement justifiée d'ailleurs par ses talents pédagogiques.
Sa réputation d'éducatrice ne fera qu'ajouter au succès que son talent d'écrivain lui attire. À la fin de 1781, paraissent Les Annales de la vertu, ou cours d'Histoire à l'usage des jeunes personnes, en deux volumes et, en janvier 1782, les trois volumes d'Adèle et Théodore ou Lettres sur l'éducation. Ce dernier livre, écrit en 1781, paraît en janvier 1782, précisément au moment où elle fixe tous les regards sur elle par sa nomination de « gouverneur » des enfants d'Orléans. On y trouve un roman par lettres, des portraits, ainsi que l'exposé développé du système d'éducation de l'auteur. En 1784, paraissent Les Veillées du Château, dont le succès n'est pas moins considérable et qui sont aussitôt traduites en anglais. Le livre est construit autour d'une intrigue romanesque simple qui ne sert que de canevas : madame de Clémire se retire en Bourgogne avec ses trois enfants et invente chaque soir des contes amusants, instructifs et moraux. Les trois volumes forment un cours de morale à l'usage des enfants de dix à douze ans vivant à la campagne. Les contes, les anecdotes et les notes en fin de volume sont ordonnés selon une progression des connaissances et de la formation. Sans trop se soucier des idées à la mode et de l'opinion des cercles littéraires, madame de Genlis poursuit avec indépendance et créativité l'édification d'une véritable bibliothèque pédagogique. On ne cesse plus désormais de parler d'elle et de ses nombreuses initiatives. Sa carrière se poursuit brillamment. Elle est interrompue par les événements révolutionnaires.
Tout au long de l'exode qui lui fait quitter la France en 1791, elle continue inlassablement d'écrire (près d'une centaine de volumes en tout : ouvrages pédagogiques, plans d'éducation, romans historiques, nouvelles…). Son retour, en 1800, n'est suivi d'aucune restitution. En 1801, Maradan lui propose de collaborer de façon régulière à la Bibliothèque des romans pour la somme de 1200 francs par an. Madame de Genlis accepte. Variant les genres, elle donne chaque mois des contes, des anecdotes véridiques, des nouvelles historiques (dont Mademoiselle de Clermont en 1802).
En 1804, elle quitte la Bibliothèque de romans et devient collaboratrice attitrée du Mercure. Avec les premières rééditions de ses précédents ouvrages et sa collaboration à la Bibliothèque des romans, elle retrouve sa place dans l'opinion et dans la société et ouvre un salon littéraire. Mais elle ne vit, et mal, que de sa plume. N''ayant émis aucune réserve à l'établissement de l'Empire, elle se voit bientôt accorder une pension par Napoléon.
Au retour des princes en 1814 (au moment de l'abdication de Napoléon), puis après les Cent Jours, elle suit la volte-face de la classe politique et de l'opinion publique et renoue des relations avec la famille d'Orléans, qui, à son tour, pourvoit à son entretien.
En 1825, la publication de ses Mémoires fait scandale, mais constitue aussi un témoignage de première importance sur la société française, l'ancienne et la nouvelle et notamment sur l'expérience pédagogique qu'elle mena à Bellechasse.
Octogénaire, madame de Genlis voit son ancien élève, Louis-Philippe, accéder au pouvoir et devenir roi des Français.
Elle meurt quelques mois plus tard, le 31 décembre 1830.

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