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Extrait

Un meurtre légal

Victor Hugo, Pour Charles Hugo, procès de L'Événement, cour d'assises de la Seine, 11 juin 1851
1851 : Charles Hugo, le fils du poète, comparaît en cour d'assises pour « outrage aux lois ». Rédacteur du journal L'Événement, il a fait paraître un article protestant contre une exécution. Victor Hugo plaide lui-même pour la défense de son fils devant le tribunal, et choisit de s'attaquer au principe même de la peine capitale.

Quoi ! un homme, un condamné, un misérable homme est traîné un matin sur une de nos places publiques ; là, il trouve l'échafaud. Il se révolte, il se débat, il refuse de mourir. Il est tout jeune encore, il a vingt-neuf ans à peine... – Mon Dieu ! je sais bien qu'on va me dire : C'est un assassin ! Mais écoutez ! Deux exécuteurs le saisissent, il a les mains liées, les pieds liés, il repousse les deux exécuteurs. Une lutte affreuse s'engage. Le condamné embarrasse ses pieds garrottés dans l'échelle patibulaire, il se sert de l'échafaud contre l'échafaud. La lutte se prolonge, l'horreur parcourt la foule. Les exécuteurs, la sueur et la honte au front, pâles, haletants, terrifiés, désespérés – désespérés, de je ne sais quel horrible désespoir –, courbés sous cette réprobation publique qui devrait se borner à condamner la peine de mort et qui a tort d'écraser l'instrument passif, le bourreau (Mouvement.), les exécuteurs font des efforts sauvages. Il faut que force reste à la loi, c'est la maxime.
L'homme se cramponne à l'échafaud et demande grâce. Ses vêtements sont arrachés, ses épaules nues sont en sang ; il résiste toujours. Enfin après trois quarts d'heure, trois quarts d'heure !… […] agonie pour le peuple qui est là autant que pour le condamné, après ce siècle d'angoisse, messieurs les jurés, on ramène le misérable à la prison. Le peuple respire. Le peuple qui a des préjugés de vieille humanité, et qui est clément parce qu'il se sent souverain, le peuple croit l'homme épargné. Point. La guillotine est vaincue, mais elle reste debout. Elle reste debout tout le jour, au milieu d'une population consternée. Et, le soir, on prend un renfort de bourreaux, on garrotte l'homme de telle sorte qu'il ne soit plus qu'une chose inerte, et, à la nuit tombante, on le rapporte sur la place publique, pleurant, hurlant, hagard, tout ensanglanté, demandant la vie, appelant Dieu, appelant son père et sa mère, car devant la mort cet homme était redevenu un enfant. (Sensation.)
On le hisse sur l'échafaud, et sa tête tombe ! – Et alors un frémissement sort de toutes les consciences. Jamais le meurtre légal n'avait apparu avec plus de cynisme et d'abomination. Chacun se sent, pour ainsi dire, solidaire de cette chose lugubre qui vient de s'accomplir, chacun sent au fond de soi ce qu'on éprouverait si l'on voyait en pleine France, en plein soleil, la civilisation insultée par la barbarie. C'est dans ce moment-là qu'un cri échappe à la poitrine d'un jeune homme, à ses entrailles, à son cœur, à son âme, un cri de pitié, un cri d'angoisse, un cri d'horreur, un cri d'humanité ; et ce cri, vous le puniriez ! Et, en présence des épouvantables faits que je viens de remettre sous vos yeux, vous diriez à la guillotine : Tu as raison ! et vous diriez à la pitié, à la sainte pitié : Tu as tort !
Cela n'est pas possible, messieurs les jurés. (Frémissement d'émotion dans l'auditoire.)

Victor Hugo, « Pour Charles Hugo », Œuvres complètes de Victor Hugo. Actes et paroles. 1. Avant l’exil 1841-1851, Paris : Albin Michel, 1937, p. 283-284.
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