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Extrait

Notre-Dame
Livre III, Chapitre I

 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1832.
Texte intégral : Ollendorff, Paris, 1904-1924
Le livre troisième de Notre-Dame de Paris se compose de deux longs chapitres descriptifs qui comparent le présent au passé (et réciproquement) : « Notre-Dame » et « Paris à vol d’oiseau ». Ce sont ici les premiers paragraphes du premier. La citation approximative d’Ovide Tempus edax, homo edacior signifie littéralement : « Le temps est rongeur, l’homme est encore plus rongeur ».

Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière.

Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. Tempus edax, homo edacior. Ce que je traduirais volontiers ainsi : Le temps est aveugle, l’homme est stupide.
Si nous avions le loisir d’examiner une à une avec le lecteur les diverses traces de destruction imprimées à l’antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l’art. Il faut bien que je dise des hommes de l’art, puisqu’il y a eu des individus qui ont pris la qualité d’architectes dans les deux siècles derniers.
Et d’abord, pour ne citer que quelques exemples capitaux, il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l’immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie d’arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d’ardoise, parties harmonieuses d’un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l’œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l’ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d’un homme et d’un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les Romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d’une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.
Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l’église entière ; et ce que nous disons de l’église cathédrale de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au moyen âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l’orteil du pied, c’est mesurer le géant.

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