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Extrait

La détermination d’Achab

Herman Melville, Moby Dick, 1851

Et maintenant qu'à l'heure et sur les lieux prédestinés, après le préambule d'un si long voyage, sur un aussi vaste parcours, Achab — ayant fréquenté tous les parages de pêche — semblait avoir traqué son ennemi dans un repli de l'Océan, afin de l'y abattre plus sûrement. Maintenant il se trouvait proche de la latitude et de la longitude mêmes où lui avait été infligée sa suppliciante blessure ; maintenant on avait parlé à un navire qui avait rencontré Moby Dick la veille même, maintenant toutes les rencontres avec divers navires avaient prouvé l'indifférence satanique avec laquelle la Baleine blanche avait déchiqueté ses chasseurs innocents ou coupables, maintenant on voyait poindre dans le regard du vieillard une expres-sion que les âmes faibles avaient peine à supporter. Pareille à la fixité de l'étoile polaire qui transperce d'un regard inébranlable le centre de la longue nuit polaire, l'intention d'Achab, immuable, étincelait sur le minuit perpétuel du sombre équipage ; elle le dominait si bien que tous leurs pressentiments, leurs doutes, leurs inquiétudes, leurs terreurs enfouies au plus profond de leurs âmes ne laissaient pas croître la moindre tige, ni s'ouvrir la moindre feuille.

Herman Melville, Moby Dick, tr. Henriette Guex-Rolle, Paris :Garnier-Flammarion, 1989, chapitre 130, p. 534.
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