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Extrait

Nous allons relever exactement notre position

Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, 1re partie, chapitre 14

« Monsieur le professeur, me dit le capitaine Nemo, nous allons, si vous le voulez bien, relever exactement notre position, et fixer le point de départ de ce voyage. Il est midi moins le quart. Je vais remonter à la surface des eaux. »

Le capitaine pressa trois fois un timbre électrique. Les pompes commencèrent à chasser l'eau des réservoirs ; l'aiguille du manomètre marqua par les différentes pressions le mouvement ascensionnel du Nautilus, puis elle s'arrêta.

« Nous sommes arrivés, » dit le capitaine.

Je me rendis à l'escalier central qui aboutissait à la plate-forme. Je gravis les marches de métal, et, par les panneaux ouverts, j'arrivai sur la partie supérieure du Nautilus.

La plate-forme émergeait de quatre-vingts centimètres seulement. L'avant et l'arrière du Nautilus présentaient cette disposition fusiforme qui le faisait justement comparer à un long cigare. Je remarquai que ses plaques de tôles, imbriquées légèrement, ressemblaient aux écailles qui revêtent le corps des grands reptiles terrestres. Je m'expliquai donc très-naturellement que, malgré les meilleures lunettes, ce bateau eût toujours été pris pour un animal marin.

Vers le milieu de la plate-forme, le canot, à demi-engagé dans la coque du navire, formait une légère extumescence. En avant et en arrière s'élevaient deux cages de hauteur médiocre, à parois inclinées, et en partie fermées par d'épais verres lenticulaires : l'une destinée au timonier qui dirigeait le Nautilus, l'autre où brillait le puissant fanal électrique qui éclairait sa route.

La mer était magnifique, le ciel pur. A peine si le long véhicule ressentait les larges ondulations de l'Océan. Une légère brise de l'est ridait la surface des eaux. L'horizon, dégagé de brumes, se prêtait aux meilleures observations.

Nous n'avions rien en vue. Pas un écueil, pas un îlot. Plus d'Abraham-Lincoln. L'immensité déserte.

Le capitaine Nemo, muni de son sextant, prit la hauteur du soleil, qui devait lui donner sa latitude. Il attendit pendant quelques minutes que l'astre vint affleurer le bord de l'horizon. Tandis qu'il observait, pas un de ses muscles ne tressaillait, et l'instrument n'eût pas été plus immobile dans une main de marbre.

« Midi, dit-il. Monsieur le professeur, quand vous voudrez ?.. »

Je jetai un dernier regard sur cette mer un peu jaunâtre des attérages japonais, et je redescendis au grand salon.

Là, le capitaine fit son point et calcula chronométriquement sa longitude, qu'il contrôla par de précédentes observations d'angles horaires.

Puis il me dit :

« Monsieur Aronnax, nous sommes par cent trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l'ouest.
 De quel méridien ? demandai-je vivement, espérant que la réponse du capitaine m'indiquerait peut-être sa nationalité.
 Monsieur, me répondit-il, j'ai divers chronomètres réglés sur les méridiens de Paris, de Greenwich et de Washington. Mais, en votre honneur je me servirai de celui de Paris. »

Cette réponse ne m'apprenait rien. Je m'inclinai, et le commandant reprit :

« Trente-sept degrés et quinze minutes de longitude à l'ouest du méridien de Paris, et par trente degrés et sept minutes de latitude nord, c'est-à-dire à trois cents milles environ des côtes du Japon. C'est aujourd'hui 8 novembre, à midi, que commence notre voyage d'exploration sous les eaux.
 Dieu nous garde ! répondis-je.
 Et maintenant, monsieur le professeur, ajouta le capitaine, je vous laisse à vos études. J'ai donné la route à l'est-nord-est par cinquante mètres de profondeur. Voici des cartes à grands points, où vous pourrez la suivre. Le salon est à votre disposition, et je vous demande la permission de me retirer. »

Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, Paris : Jules Hetzel, 1871, p. 98-99.