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Extrait

Vieille chanson du jeune temps
Livre I, XIX

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
Texte intégral : Paris, Ed. Michel Levy, 1856
Les deux premiers livres des Contemplations comportent de nombreuses pièces d’allure légère et populaire, écrites sur des vers courts et parfois impairs, comme dans cette « chanson ». Le Je lyrique y tourne en dérision l’adolescent qu’il a été.

VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS

Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi ;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.
 
J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits ;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son œil semblait dire : « Après ? »
 
La rosée offrait ses perles,
Les taillis ses parasols ;
J'allais ; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.
 
Moi, seize ans, et l'air morose ;
Elle vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.
 
Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.
 
Une eau courait, fraîche et creuse
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.
 
Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure ;
Je ne vis pas son pied nu.
 
Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.
 
Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
« Soit ; n'y pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.
 
Paris, juin 1831.

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