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Extrait

La famille du condamné

Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un condamné, préface de 1832
: En 1827, Victor Hugo n'a que vingt-cinq ans. Il se décide à communiquer son indignation face à la peine de mort en écrivant un récit d'un genre nouveau. Le Dernier Jour d'un condamné est en effet le journal qu'un jeune condamné aurait pu écrire, sachant qu'il ne lui restait plus que vingt-quatre heures à vivre. Au roman publié en 1829, l'auteur ajoute en 1832 une célèbre préface dans laquelle il se prononce pour l'abolition.

De deux choses l'une :
Ou l'homme que vous frappez est sans famille, sans parents, sans adhérents dans ce monde. Et dans ce cas, il n'a reçu ni éducation, ni instruction, ni soins pour son esprit, ni soins pour son cœur ; et alors de quel droit tuez-vous ce misérable orphelin ? Vous le punissez de ce que son enfance a rampé sur le sol sans tige et sans tuteur ! Vous lui imputez à forfait l'isolement où vous l'avez laissé ! De son malheur vous faites son crime ! Personne ne lui a appris à savoir ce qu'il faisait. Cet homme ignore. Sa faute est à sa destinée, non à lui. Vous frappez un innocent.
Ou cet homme a une famille ; et alors croyez-vous que le coup dont vous l'égorgez ne blesse que lui seul ? que son père, que sa mère, que ses enfants, n'en saigneront pas ? Non. En le tuant, vous décapitez toute sa famille. Et ici encore vous frappez des innocents.
Gauche et aveugle pénalité, qui, de quelque côté qu'elle se tourne, frappe l'innocent !
Cet homme, ce coupable qui a une famille, séquestrez-le. Dans sa prison, il pourra travailler encore pour les siens. Mais comment les fera-t-il vivre du fond de son tombeau ?

Victor Hugo, Œuvres complètes de Victor Hugo. Roman. 1, Paris : librairie Ollendorf, 1910, p. 604-605.
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