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Extrait

Notre audace extermina les hommes

Anne-Marie Du Bocage, Les Amazones, Acte I scène II, 1749
Comme le rappelle Ménalippe, les Amazones sont un peuple de femmes guerrières, qui se gouvernaient seules, et s’unissaient aux hommes de manière passagère pour assurer une descendance dont elle ne gardait que les filles. La conseillère incite la reine Orithie à tuer Thésée, capturé à la suite d’un combat.

MÉNALIPPE.
Jadis, pour parvenir à la gloire où nous sommes,
De nos champs notre audace extermina les hommes ;
Chacune à son tyran osant se dérober,
Un instant sous nos coups les vit tous succomber.
Si le ciel m’eût fait naître en ce jour de carnage,
Que ce hardi projet eût flatté mon courage !
Quel plaisir de remettre un peuple en liberté,
D’établir de nos lois la sage austérité,
Et délivrant nos cœurs d’un joug que je déteste,
D’immoler les objets d’un charme trop funeste !
En tous lieux leur orgueil a su nous abaisser,
Montrons que sans leur force on peut les surpasser :
Unissons leurs vertus à notre utile adresse,
Et craignons des captifs la fureur vengeresse :
La dîme de leur sang est due aux Immortels,
Payons sans différer ce tribut aux autels ;
Le reste loin de nous doit subir l’esclavage ;
Mais on veut le trépas d’un chef dont le courage
Répand ici l’effroi dans un peuple indompté.

ORITHIE.
Depuis quand prétend-on régler ma volonté ?
Les mortels dont le front est ceint du diadème
Ne connaissent de loi que leur pouvoir suprême ;
Souvent jugeant à tort de leurs motifs secrets,
De la plus juste cause on blâme les effets.
Nous devons mépriser la censure publique,
Et dans tous ses détours suivre la politique ;
Sa prudence inconnue aux vulgaires humains
Par un crime apparent prévient des maux certains.
Je vous servirais mal en suivant votre envie :
La mort de l’étranger dont on craint la furie,
Peut de l’État paisible ébranler le repos ;
Thésée est né des Dieux, respectons ce héros.

ANTIOPE.
Songeons que des Tyrans il punit l’injustice.

MÉNALIPPE.
Par le sang d’un Héros rendons le Ciel propice.
Vous Prêtresse du temple et Reine de ces lieux,
Satisfaites le peuple en honorant les Dieux.
Leur bras nous protégea dans le sort des batailles,
Que leur culte triomphe au sein de nos murailles ;
Offrons-leur pour encens les plus nobles captifs.

ORITHIE.
L’Oracle m’apprendra ses arrêts décisifs ;
Est-ce à nous de choisir au gré de nos caprices
Le sang qui doit rougir le fer des sacrifices ?
Sachons des Dieux l’encens qui plaît à leurs autels.
Madame, les héros sont chers aux Immortels ;
Le fils d’Egée à Mars consacra son courage,
L’immoler dans son temple est peut-être un outrage ;
Cet illustre guerrier ne doit finir son sort
Qu’au milieu des combats, en affrontant la mort ;
C’est là que pour punir ses fureurs meurtrières,
Son trépas doit venger le sang de nos guerrières.

MÉNALIPPE.
La victime en vos mains assure mieux nos coups ;
Sans consulter les Dieux prévenons leur courroux.
En tous lieux notre sexe à leur culte fidèle
A les servir ici montre encor plus de zèle :
Je le redis, craignez…

ORITHIE.
Annoncez qu’aux autels
On saura par ma voix l’ordre des Immortels :
Allez : et modérant l’ardeur qui vous anime,
Songez qu’auprès des grands trop de zèle est un crime.

Anne-Marie Du Bocage, Les Amazones, Paris : F. Mérigot, 1749, p. 6-9
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