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Extrait

Phénime s’offre à Zulma

Crébillon fils, Le Sopha, chapitre VII, 1742

Phénime connaissait trop Zulma, pour se méprendre au motif qui suspendait ses empressements ; elle le regarda encore avec une extrême tendresse, et, cédant enfin aux doux mouvements dont elle était agitée, elle se précipita sur lui avec une ardeur que les termes les plus forts et l’imagination la plus ardente ne pourraient jamais peindre.
Que de vérité ! Que de sentiments dans leurs transports ! Non, jamais spectacle plus attendrissant ne s’était offert à mes yeux ! Tous deux, enivrés, semblaient avoir perdu tout usage de leurs sens. Ce n’était point ces mouvements momentanés que donne le désir, c’était ce vrai délire, cette douce fureur de l’amour toujours cherchés et si rarement sentis.
 — Ô dieux ! dieux ! disait de temps en temps Zulma, sans pouvoir en dire davantage.
Phénime, de son côté, abandonnée à tout son trouble, serrait tendrement Zulma dans ses bras, s’en arrachait pour le regarder, s’y rejetait, le regardait encore.
 Zulma, lui disait-elle avec transport, ah ! Zulma, que j’ai connu tard le bonheur !
Ces paroles étaient suivies de ce silence délicieux auquel l’âme se plaît à se livrer, lorsque les expressions manquent au sentiment qui la pénètre.
Zulma cependant avait bien des choses encore à désirer, et Phénime, à qui son ardeur les rendait en ce moment presque aussi nécessaires qu’à lui-même, loin de vouloir rien opposer à ses désirs, s’y livra aveuglément. Il semblait même qu’il fît encore plus pour elle qu’elle ne faisait pour lui. Plus elle s’était défendue contre son amour, plus elle croyait devoir lui prouver combien sa résistance lui avait coûté, et lui faire une sorte de satisfaction sur les tourments qu’elle lui avait fait éprouver si longtemps. Elle aurait rougi de s’armer de cette fausse décence qui si souvent gêne et corrompt les plaisirs, et qui, paraissant mettre sans cesse le repentir à côté de l’amour, laisse, au milieu du bonheur même, un bonheur encore plus doux à désirer. La tendre, la sincère Phénime se serait crue coupable envers Zulma, si elle lui avait dérobé quelque chose de l’ardeur extrême qu’il lui inspirait. Elle volait avec empressement au-devant de ses caresses, et comme quelques moments auparavant elle s’estimait de lui résister, elle mettait alors toute sa gloire à le bien convaincre de sa tendresse.

Crébillon fils, Le Sopha, Tome I, Paris : E. Flammarion, 1894, p. 98-100.
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