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Extrait

Un coup de dé jamais n'abolira le hasard : préface

Stéphane Mallarmé, Préface d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, 1914

J'aimerais qu'on ne lût pas cette Note ou que parcourue, même on l'oubliât ; elle apprend, au Lecteur habile, peu de chose situé outre sa pénétration : mais, peut troubler l'ingénu devant appliquer un regard aux premiers mots du Poème pour que de suivants, disposés comme ils sont, l'amènent aux derniers, le tout sans nouveauté qu'un espacement de la lecture. Les blancs en effet, assument l'importance, frappent d'abord ; la versification en exigea, comme silence alentour, ordinairement, au point qu'un morceau, lyrique ou de peu de pieds, occupe, au milieu, le tiers environ du feuillet : je ne transgresse cette mesure, seulement la disperse. Le papier intervient chaque fois qu'une image, d'elle-même, cesse ou rentre, acceptant la succession d'autres et, comme il ne s'agit pas, ainsi que toujours, de traits sonores réguliers ou vers — plutôt, de subdivisions prismatiques de l'Idée, l'instant de paraître et que dure leur concours, dans quelque mise en scène spirituelle exacte, c'est à des places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisemblance, que s'impose le texte. L'avantage, si j'ai droit à le dire, littéraire, de cette distance copiée qui mentalement sépare des groupes de mots ou les mots entre eux, semble d'accélérer tantôt et de ralentir le mouvement, le scandant, l'intimant même selon une vision simultanée de la Page : celle-ci prise pour unité comme l'est autre part le Vers ou ligne parfaite. La fiction affleurera et se dissipera, vite, d'après la mobilité de l'écrit, autour des arrêts fragmentaires d'une phrase capitale dès le titre introduite et continuée. Tout se passe, par raccourci, en hypothèse ; on évite le récit. Ajouter que de cet emploi à nu de la pensée avec retraits, prolongements, fuites, ou son dessin même, résulte pour qui veut lire à haute voix, une partition. La différence des caractères d'imprimerie entre le motif prépondérant, un secondaire et d'adjacents, dicte son importance à l'émission orale et la portée, moyenne, en haut, en bas de page, notera que monte ou descend l'intonation. Seules certaines directions très hardies, des empiètements, etc., formant le contre-point de cette prosodie, demeurent dans une œuvre, qui manque de précédents, à l'état élémentaire : non que j'estime l'opportunité d'essais timides ; mais il ne m'appartient pas, hormis une pagination spéciale ou de volume à moi, dans un Périodique, même valeureux, gracieux et invitant qu'il se montre aux belles libertés, d'agir par trop contrairement à l'usage. J'aurai, toutefois, indiqué du Poème ci-joint, mieux que l'esquisse, un « état » qui ne rompe pas de tous points avec la tradition ; poussé sa présentation en maint sens aussi avant qu'elle n'offusque personne : suffisamment, pour ouvrir des yeux. Aujourd'hui ou sans présumer de l'avenir qui sortira d'ici, rien ou presque un art, reconnaissons aisément que la tentative participe, avec imprévu, de poursuites particulières et chères à notre temps, le vers libre et le poème en prose. Leur réunion s'accomplit sous une influence, je sais, étrangère, celle de la Musique entendue au concert ; on en retrouve plusieurs moyens m'ayant
semblé appartenir aux Lettres, je les reprends. Le genre, que c'en devienne un comme la symphonie, peu à peu, à côté du chant personnel, laisse intact l'antique vers, auquel je garde un culte et attribue l'empire de la passion et des rêveries ; tandis que ce serait le cas de traiter, de préférence (ainsi qu'il suit) tels sujets d'imagination pure et complexe ou intellect : que ne reste aucune raison d'exclure de la Poésie — unique source.

Stéphane Mallarmé, « Préface », Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, Paris : Nouvelle Revue française, 1914, np.