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Extrait

Ni exemplaire, ni efficace

Victor Hugo, La peine de mort, Brouillon de discours
 Dans un discours qu'il n'aura finalement pas l'occasion de prononcer, Hugo, député de la toute jeune Deuxième République, réfute les deux principaux arguments des partisans du maintien de la peine capitale dans la nouvelle Constitution : la peine de mort n’est ni exemplaire, ni efficace, explique-t-il.

[…] Selon les criminalistes, la peine de mort a deux efficacités, l'une directe, l'autre indirecte, le coup qu'elle frappe sur l'individu par le retranchement, le coup qu'elle frappe sur la société par l'exemple.

Voyons d'abord ce que c'est que l'exemple.

L'exemple, le bon exemple donné par la peine de mort, nous le connaissons. […]
Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l'exemple. Pourquoi ? pour ce qu'il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu'il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu'il ne faut pas tuer ? en tuant.

[…] De deux choses l'une : ou l'exemple donné par la peine de mort est moral, ou il est immoral. S'il est moral, pourquoi le cachez-vous ? S'il est immoral, pourquoi le faites-vous ?

[…] Rejetons donc la théorie de l'exemple. Vous y renoncez vous-mêmes, vous voyez bien.

Reste l'efficacité directe de la peine de mort ; le service rendu à la société par le retranchement du coupable ; la mesure de sûreté. La peine de mort est la plus sûre des prisons. Ah ! ici, vous frissonnez encore, malgré vous-même. Quoi, le tombeau utilisé comme maison de justice ! la mort devient un employé de l'état ! la mort devient un fonctionnaire auquel on donne à garder les hommes dangereux ! Voici un homme qui a fait le mal et qui peut le faire encore, vous pourriez essayer de guérir cette âme et d'en déraciner le crime ; mais non, vous n'allez pas si loin, bah ! améliorer un homme, le corriger, l'assainir, le sauver physiquement et moralement, théories ! visions ! rêveries de poètes ! Vous dites : il faut enfermer cet homme, la meilleure manière de l'enfermer c'est de le tuer, et vous le tuez !

Monstrueux.

À législation barbare, raisonnement sauvage. Criminalistes, débattez-vous sous vos propres énormités.

J'ai examiné la peine de mort par ses deux côtés, action directe, action indirecte. Qu'en reste-t-il ? Rien. Rien qu'une chose horrible et inutile, rien qu'une voie de fait sanglante qui s'appelle crime quand c'est l'individu qui l'accomplit, et qui s'appelle justice (ô douleur !) quand c'est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce qui est crime pour l'individu est crime pour la société.

Victor Hugo, « La Peine de mort », Œuvres complètes de Victor Hugo. Actes et paroles. 1. Avant l’exil 1841-1851, Paris : Albin Michel, 1937, p. 418-420.
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