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Extrait

Oui, l’art sportif sera !

Gustave Milet, « L’art sportif », 1924
« Oui, l’art sportif sera ! » : c'est ce qu'écrit Gustave Milet, dans une envolée lyrique, quelques mois avant l’ouverture des Jeux de 1924, à Paris, à propos d'un nouveau genre artistique qui émerge sur la scène des expositions françaises. La conscience du journaliste que ce nouvel art est encore loin d'avoir atteint la maturité est partagée par la plupart des critiques contemporains. L'art sportif est en effet un phénomène qui commence à se répandre non seulement en France mais aussi dans toute l'Europe, inaugurant un débat esthétique qui va marquer la décennie à venir.

L'art sportif est encore dans l'enfance, ou, si vous préférez, dans la difficile période des débuts.

Les artistes ne viennent qu'assez péniblement au sport, et beaucoup renâclent encore. […]

Pour l'artiste d'aujourd'hui, le sujet sportif est un sujet nouveau. Il faut quitter les sentiers battus, travailler seul, faire un rude effort de compréhension.

J'irai même plus loin : il faut pratiquer pour pénétrer le secret des attitudes et des gestes, pour mettre la technique sportive au service de la technique artistique. Rude préparation. Mais tout chef-d'œuvre, quel qu'il soit, n'exige-t-il pas une fantastique somme de travail ?...

Je crois bien que notre génération n'est pas mûre pour le chef-d'œuvre sportif. Celui-ci ne sera que lorsque notre race aura en quelque sorte dans le sang une hérédité sportive, comme elle a un atavisme militaire qui nous a valu les Delacroix, les Detaille, les Scott, etc...

Et cette époque d'épanouissement de l'art sportif viendra fatalement. Les artistes finiront bien par se rendre compte de l'immensité des horizons nouveaux que leur ouvre le sport. Et les Salons qui ont la prétention de refléter ou d'interpréter les traits généraux de leur époque pourront-ils ignorer le grand mouvement sportif. qui anime notre belle jeunesse et gagne chaque jour des centaines et des centaines d'adeptes ?…

Au fond, athlètes et artistes ne sont-ils pas les grands-prêtres d'une même déesse : la beauté ?... Aux travailleurs du pinceau et du ciseau de se mettre à l'œuvre pour saisir et comprendre la somme de beauté incluse dans le geste sportif ! […]

Oui, l'art sportif sera !

Beaucoup d'artistes s'éveilleront un jour avec la révélation de l'immense champ d'observation que leur offre le sport. « Nous avons trouvé, s'écrieront-ils, un thème nouveau et admirable, une source incomparable et féconde d'inspiration. Nous avons trouve le moyen de nous renouveler et de renouveler notre art ! » […]

C'est alors que sous le pinceau ou le ciseau de l'un de ces artistes surgira inéluctablement le grand chef-d'œuvre que nous doit l'art sportif.

Et, croyant avoir, renouvelé leur art, les artistes s'apercevront qu'ils en sont revenus à la veine antique, celle des Praxitèle et des Phidias, source éternelle et pure du classicisme toujours triomphant parce qu'il est la simple et immortelle vérité...

Gustave Milet, « L’art sportif », Paris-Soir, 12 janvier 1924, p. 4.
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