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Portraits, figures et dessins fantasques de Victor Hugo

Adèle au cerceau
Adèle au cerceau

Bibliothèque nationale de France

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Près de deux mille personnages hantent l'univers poétique, dramatique et romanesque de Victor Hugo. Dans l'œuvre graphique, pourtant, rares sont les dessins où paysages et personnages se côtoient. En revanche il se lance dès les années 1830-1835 dans une veine caricaturale, qui fait la joie de ses jeunes enfants.    

Des portraits-charges 

"Admire Napoléon III"
"Admire Napoléon III" |

© Bibliothèque nationale de France

Tandis qu'il s'apprête à partir vers la Belgique pour son voyage annuel, le 14 août 1870, Victor Hugo met en ordre ses papiers et note dans son carnet : « Outre mes manuscrits anciens, les non reliés comme les reliés, je mets dans la grande armoire de la chambre de Victor – [...] beaucoup de mes dessins – achevés ou ébauchés notamment ce que j'appelle mes figurines ». 

Que recouvre le terme de « figurines » ? Vraisemblablement cette collection de charges réalisées à partir de la fin de l'exil et visant pour la plupart l'ordre établi : avocats, juges, magistrats et militaires dans le « Théâtre de la Gaîté », et, à travers « Le Poème de la sorcière », dévots et inquisiteurs. Le souvenir de l'œuvre de Goya, que Victor Hugo cite dès 1830, est certainement présent dans cette série de caricatures.

Dans ces portraits-charges, quelques constantes se retrouvent : des profils dans la majeure partie des cas, une extrême simplification du dessin. Certains sont ombrés, quelques-uns légendés.

Après 1835, la veine caricaturale de Hugo s'estompe quelques temps, pour reprendre dans les dernières années de l'exil, à partir de 1864 environ.

Personnages de romans

C'est aussi en forçant le trait que Victor Hugo croque ses personnages de roman. Ainsi, le personnage, saisi de profil, l'index levé comme un prophète, pourrait bien être l'Homme-qui-rit. Car le monstre, comme le juste, comme le poète ne sont-ils pas les visionnaires du siècle ?

Personnage de profil à gauche
Personnage de profil à gauche |

Bibliothèque nationale de France

Gavroche à onze ans
Gavroche à onze ans |

© Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet

La figure grimaçante ébauche toujours l'alliance des contraires, du grotesque et du sublime, de la misère et de la force, de la mort et de la vie. Gavroche est ainsi l'emblème du gamin, à partir duquel Hugo construit une métaphore de Paris où la vie et la mort luttent sur les décombres de la misère. Sa mort sur la barricade symbolise les forces vives du peuple qui ne ploie pas sous les coups du destin. « Enfant du bourbier » autant qu'« enfant de l'idéal », « qui passe en une minute du marmot au géant », le « gamin exprime Paris, et Paris exprime le monde ». Le rire énorme de Gavroche est un défi au malheur car « le gamin est un être qui s'amuse, parce qu'il est malheureux. »

Dessins fantasques

Les dessins « fantasques » gardent aujourd'hui encore tout leur mystère. La présence de spectres, d'êtres hybrides qui tiennent de l'humain, de l'animal, du végétal, du minéral, les situe dans la mouvance des Tables. Mais il ne s'agit pas de dessins spirites : ils ont tous été réalisés entre 1856 et 1857, à Guernesey, alors que le cercle Hugo avait cessé d'interroger les esprits. De plus leur tracé, comme l'ont fait remarquer Joumet et Robert, est très différent de celui, hésitant, des Tables.

Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856
Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856 |

© Bibliothèque nationale de France

Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856
Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856 |

Bibliothèque nationale de France

Toutes sortes d'hypothèses ont été avancées : dessins exécutés de la main gauche ? influencés par le découpage dentelé des côtes guernesiaises ? par la forme des nuages ? ou par ces cartes de géographie à forme anthropomorphique que l'on reproduisait au 19e siècle en France mais surtout en Angleterre ? dessins inspirés par les conversations familiales à Guernesey ? tracés d'un seul trait comme ceux de Michaux : « Une ligne plutôt que des lignes. Ainsi je commence, me laissant mener par une, une seule, que sans relâcher le crayon de dessus le papier je laisse courir, jusqu'à ce qu'à force d'errer sans se fixer dans cet espace réduit, il y ait obligatoirement arrêt. [...] Ce qu'on voit alors est un dessin comme désireux de rentrer en lui-même. » ?

Le Suisse de la cathédrale se tenait sur la première marche
Le Suisse de la cathédrale se tenait sur la première marche |

Bibliothèque nationale de France

Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856
Carnet oblong, 15 mars - 18 avril 1856 |

Bibliothèque nationale de France

Tous ces dessins s'organisent autour de plusieurs thèmes. Les musiciens sont les plus nombreux. Si on les réunissait, ce serait un orchestre entier que l'on recomposerait où figureraient choristes, instruments à cordes et instruments à vent. Victor Hugo fait d'ailleurs preuve d'une grande connaissance dans ce domaine, reproduisant des instruments créés depuis peu. La musique occupait une place importante dans la vie de Hauteville House : Adèle jouait du piano et composait ; en outre, les concerts donnés à Jersey par Augustine Allix et le violoniste Édouard Réményi se poursuivirent à Guernesey. Ces dessins traduisent-ils la vibration du son ? S'inscrivent-ils dans des recherches sur la cadence, telles celles accomplies par Paul Klee dans La Pensée créatrice ?

Parmi les autres thèmes récurrents figure l'évocation de rapports entre adultes et enfants. Des silhouettes féminines apparaissent aussi, toujours représentées en compagnie d'un perroquet – qu'il faut parfois identifier dans les plis d'une robe – et d'un éventail : ces attributs sont-ils là pour caricaturer la coquetterie ? Satyres, esprits des bois, mages, sorcières enfin, hantent aussi toutes ces pages.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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