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Thérèse Raquin

Thérèse Raquin
Thérèse Raquin

© Collection F. Labadens, cliché Michel Urtado

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Thérèse Raquin paraît en volume à la Librairie internationale A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, en novembre 1867. Il a d’abord fait l’objet d’une publication en feuilleton, en trois livraisons, dans la revue L'Artiste dirigée par Arsène Houssaye (numéros d’août-octobre 1867). Une deuxième édition est donnée en mai 1868, accompagnée d’une préface dans laquelle Zola explique ses intentions littéraires, en disant sa fierté d’appartenir à un « groupe d’écrivains naturalistes » qui ont le courage de livrer au public des « œuvres fortes », porteuses de vérité.
 

Des brutes pour héros

Le vice et la vertu sont des produits, comme le vitriol et le sucre.

Hippolythe Taine, Histoire de la littérature anglais , 1864, mise en exergue par Zola à son roman Thérèse Raquin , 1867.

L’histoire est centrée autour du personnage de Thérèse Raquin. La jeune femme mène une vie obscure dans l’humidité d’une petite boutique parisienne. Elle végète auprès de Camille, l’homme médiocre qu’elle a épousé, et de sa belle-mère, la vieille Mme Raquin. Mais la monotonie de son existence est bouleversée par l’arrivée de Laurent, un ami de son mari, dont elle tombe follement amoureuse. Emportés par leur passion, les deux amants décident de se débarrasser de Camille qu’ils noient, au cours d’une promenade sur la Seine. Personne ne les soupçonne, mais ils ne profitent guère de leur liberté, car le remords ne tarde pas à s’emparer d’eux. L’image obsédante du mari assassiné se présente constamment à leurs yeux ; et ils finissent par se suicider sous le regard de la vieille Mme Raquin qui se trouve ainsi vengée de la mort de son fils.

Dessins illustrant Thérèse Raquin
Dessins illustrant Thérèse Raquin |

Bibliothèque nationale de France

La critique contemporaine dénonça le caractère ordurier du roman. Dans un article particulièrement violent, publié dans Le Figaro du 23 janvier 1868, Louis Ulbach s’en prit à la « littérature putride » dont Thérèse Raquin était la parfaite illustration : « Il s'est établi depuis quelques années une école monstrueuse de romanciers, qui prétend substituer l'éloquence du charnier à l'éloquence de la chair, qui fait appel aux curiosités les plus chirurgicales, qui groupe les pestiférés pour nous en faire admirer les marbrures, qui s'inspire directement du choléra, son maître, et qui fait jaillir le pus de la conscience. »

À eux deux, la femme, nerveuse et hypocrite, l’homme, sanguin et vivant en brute, ils faisaient un couple puissamment lié.

Émile Zola, Thérèse Raquin, 1867.

Dans la préface à la deuxième édition du roman, Zola répondit aux attaques qui lui étaient adressées : « Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J'ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l'instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d'une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d'un besoin ; le meurtre qu'ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu'ils acceptent comme les loups acceptent l'assassinat des moutons ; enfin, ce que j'ai été obligé d'appeler leur remords, consiste un simple désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. » En avançant ce thème de la « brute humaine », Zola développait l'un des éléments essentiels de sa vision romanesque. Il expliquait, dans sa préface : « Mon but a été un but scientifique avant tout. »

Le passage du Pont-Neuf
Le passage du Pont-Neuf |

Bibliothèque nationale de France

Lorsque mes deux personnages, Thérèse et Laurent, ont été créés, je me suis plu à poser et à résoudre certains problèmes : ainsi, j'ai tenté d'expliquer l'union étrange qui peut se produire entre deux tempéraments différents, j'ai montré les troubles profonds d'une nature sanguine au contact d'une nature nerveuse. Qu'on lise le roman avec soin, on verra que chaque chapitre est l'étude d'un cas curieux de physiologie. En un mot, je n'ai eu qu'un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupuleusement les sensations et les actes des êtres. J'ai simplement fait sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres. »

Un tournant dans la carrière de Zola

Lettre de Taine à Zola
Lettre de Taine à Zola |

Bibliothèque nationale de France

Lettre des frères Goncourt à Émile Zola
Lettre des frères Goncourt à Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

On peut dire que la publication de Thérèse Raquin représente un tournant dans la carrière littéraire du romancier. Zola abandonne la perspective autobiographique qui dominait dans ses ouvrages précédents (La Confession de Claude en 1865, et Le Vœu d’une morte en 1866) pour construire une œuvre dont les personnages sont élaborés à partir d’une réflexion fondée sur les sciences médicales et sociales. Hippolyte Taine (dont il admire les travaux) lui donne, au début de l’année 1868, le conseil d’élargir encore son champ d’analyse : « Un livre doit être toujours, plus ou moins, un portrait de l'ensemble, un miroir de la société entière. […] Vous avez fait une œuvre puissante, pleine d'imagination, de logique et très morale. Il vous reste à en faire une autre qui embrasse plus d'objets et ouvre plus d'horizons. » Zola se souviendra de ces remarques… En cette année 1868, elles vont le conduire à se lancer dans le projet des Rougon-Macquart. « Je me cherche encore », déclare-t-il à l’un de ses correspondants, le 23 janvier 1868 : « Je sens devant moi un ensemble d’œuvres vraies dans lesquelles je montrerai les fatalités de la vie, les fatalités des tempéraments et des milieux. »

Les adaptations

Thérèse Raquin, drame en quatre actes d'Émile Zola
Thérèse Raquin, drame en quatre actes d'Émile Zola |

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Zola a tiré de son roman une pièce de théâtre, jouée au Théâtre de la Renaissance, en juillet 1873. L’œuvre a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques. On peut citer celle de Jacques Feyder, en 1926 (avec Gina Manès, dans le rôle de Thérèse, et Marie Laurent, dans celui de Mme Raquin), celle de Marcel Carné, en 1953 (avec Simone Signoret, dans le rôle de Thérèse, Raf Vallone, dans celui de Laurent, et Sylvie, dans celui de Mme Raquin), ou encore l’adaptation proposée en 2014, aux États-Unis, par Charles Stratton (avec Jessica Lange, dans le rôle de Mme Raquin, et Elizabeth Olsen, dans celui de Thérèse).

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