Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Flaubert, père du roman moderne

Gustave Flaubert
Gustave Flaubert

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Quelques jours après sa mort, Théodore de Banville saluait en Flaubert le père du roman moderne. La formule est aujourd’hui toujours exacte, mais elle renvoie à une réalité différente : non seulement ses œuvres ont marqué un tournant dans la forme du genre romanesque, mais, par sa conception très moderne de l’écriture, son expérience créatrice a suscité un intérêt croissant tout au long au 20e siècle et jusqu’à aujourd’hui.
 

Un écrivain incompris

Pour Flaubert, un « écrivain digne de ce nom » n’écrit pas pour son époque mais pour les lecteurs à venir « aussi longtemps que la langue vivra ». S’il n’a jamais véritablement connu de purgatoire, son œuvre a été mal comprise par la plupart de ses contemporains.

 On a dit de Flaubert qu’il était un réaliste, un naturaliste ; on a voulu voir en lui une sorte de chirurgien des lettres disséquant les passions et faisant l’autopsie du cœur humain ; il était le premier à en sourire : c’était un lyrique.

Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, 1850-1880

À l’exception de quelques-uns, des amis souvent, ses contemporains le méconnurent, virent en lui un réaliste ou un naturaliste, après le long chapitre que lui consacre Zola dans Les Romanciers naturalistes (1884), contresens qui se figea dans les vulgates scolaires jusqu’à une période très récente. Les plus lucidement passionnés furent d'autres écrivains : Banville, Maupassant, Baudelaire, Tourgueniev ou George Sand.

Flaubert vu par Guy de Maupassant

Guy de Maupassant, La République des Lettres, 1876 et L’Écho de Paris, 1890
« Chez lui, la forme c’est l’œuvre elle-même : elle est comme une suite de moules différents qui donnent...
Lire l'extrait

Grâce aux écrivains encore, il fait l’objet d’une réévaluation entre 1890 et 1920 (Paul Bourget, Henry James, James Joyce) et surtout dans les années 1920 (Thibaudet, qui voit en lui le seul « classique » du 19e siècle, ou Marcel Proust qui salue son « génie grammatical »).

Flaubert vu par Marcel Proust

Marcel Proust, « À propos du style de Flaubert », 1920
« J’ai été stupéfait, je l’avoue, de voir traiter de peu doué pour écrire un homme qui, par l’usage...
Lire l'extrait

Mais nombreux et divers sont encore au début du siècle dernier les écrivains qui, à la suite de Barbey d'Aurevilly, l'un de ses plus infatigables détracteurs de son vivant, trouvent son style sans intérêt (Desnos, Delteil, Drieu, Léautaud).

Inépuisable objet d’études

Gustave Flaubert, 1821-1880
Gustave Flaubert, 1821-1880 |

Bibliothèque nationale de France

Après-guerre, l’œuvre de Flaubert fait l’objet d’une véritable reconnaissance universitaire, et engendre un foisonnement d’études (Auerbach, Queneau, Sartre, Pommier, Durry, Poulet, etc.). Mais c’est surtout dans les années 1950 (Pontalis, qui écrit qu’il oscille entre Mallarmé et Zola, Richard, Lukács, Borges) et 1960 (Rousset, Blanchot, Bollème, Bruneau, Gothot-Mersch, Nadeau) qu’elle suscite de nouvelles approches. Roland Barthes et Alain Robbe-Grillet saluent sa « modernité » dans Le Degré zéro de l’écriture (1953) et Pour un Nouveau Roman (dans l’article « Sur quelques notions périmées » qui date de 1957). Les auteurs du Nouveau Roman sont unanimes à se reconnaître en lui et à l’opposer à Balzac pour en faire l’inventeur du roman moderne, même s’ils le font pour des raisons fort variables : pour la « substance psychique nouvelle » qu’il met au jour (Sarraute), le rôle qu’il fait jouer à la description (Robbe-Grillet), la façon dont il détruit les structures romanesques traditionnelles (Jean Ricardou) ou ses « tableaux détachés » issus de la mémoire (Claude Simon). On salue aussi alors chez cet artisan du style le rôle déterminant de la « valeur travail » dans l’écriture, qui remplace le génie ou l’inspiration.

Flaubert est devenu un mythe littéraire, mais il reste un objet privilégié pour la nouvelle critique (Genette, Sartre, Foucault, Barthes) : « le premier en date des non-figuratifs du roman moderne » (Rousset) fait l’objet d’innombrables études critiques dans les années 1970-1980. Ses manuscrits sont une mine pour la critique génétique qui se développe dans les années 1980-1990. Pour la critique plus récente et les auteurs du 21e siècle (Echenoz, Michon, Chevillard, Claro), c’est la déréalisation et la subversion du sens, le jeu très subtil avec les clichés et stéréotypes qui sont mis en avant. Tout se passe comme si chaque époque trouvait dans son œuvre un écho de ses préoccupations, comme si ses textes devenaient régulièrement le lieu d'émergence de nouvelles questions littéraires.

Flaubert vu par Jean Echenoz

Jean Echenoz, « Flaubert m’inspire une affection absolue », 2001
« Son écriture est capable de contenir à la fois les effets les plus contradictoires comme l’ironie...
Lire l'extrait

Flaubert vu par Pierre Michon

Pierre Michon, Le Magazine littéraire, 2001.
« En réalité, il y prend un plaisir fou et il veut se faire plaindre en même temps. Tout cela, c’est...
Lire l'extrait

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

Lien permanent

ark:/12148/mmrqmkjcv954z