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Les Filles du feu

Nerval, 1854
Le poème de l'âme
Le poème de l'âme

© RMN-Grand Palais / René Ojéda

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Entre prose et poésie, le recueil des Filles du feu a tout pour dérouter son lecteur.  Marqué par l'expérience de la folie, Nerval plonge dans ses souvenirs personnels en quête de l'éternel féminin, son idéal inacessible. Le feu, qui donne son titre à l'ouvrage, désigne à la fois ces femmes-fées qui peuplent chaque chapitre et la flamme poétique qui anime Nerval.

Les Filles du feu est un recueil composé de huit nouvelles et d’un ensemble poétique, Les Chimères. L’œuvre est parue en 1854 et réunit des récits publiés dans la presse et des inédits dont l’assemblage traduit une volonté d’orchestration qui, pour être remarquable, n’en est pas moins déconcertante. Au prisme d’une quête identitaire marquée par la thématique amoureuse et par une réflexion religieuse et mythologique syncrétique, elle constitue une « descente aux enfers » selon les mots mêmes de l’auteur qui affronte là ses démons personnels et le plus effrayant de tous : la folie.

Une oeuvre composite

Sylvie, dans la forêt
Sylvie, dans la forêt |

Bibliothèque nationale de France

Si le recueil des Filles du feu est placé sous le signe de figures féminines qui lui assurent une cohérence certaine, il n’en demeure pas moins que l’œuvre, résultant de multiples opérations de rapiéçage et pratiquant volontiers le mélange des genres et des registres, revêt une dimension kaléïdoscopique propre à dérouter. La préface donne d’emblée le ton : elle constitue une réponse savamment composée à un article d’Alexandre Dumas dans lequel l’ami de l’écrivain rapportait l’état inquiétant du malade du Docteur Blanche. Le recueil des Filles du Feu est présenté par l’auteur comme un élément du dossier constitué par ses proches que le lecteur, la critique et la postérité auront à instruire à charge ou à décharge.  

Un livre en forme de voyage initatique

L’œuvre composite s’apparente par ailleurs à un parcours initiatique aux allures de voyage dans le temps et dans l’espace : la nouvelle inaugurale, « Angélique », rapporte les amours interdites d’une dame au temps du roi Louis XIII. Elle constitue le cycle français du recueil avec « Sylvie » (inspiré par le 17e siècle des pastorales et des scènes de genre), les « Chansons et légendes du Valois » (inspirées de la littérature médiévale, renaissante et vernaculaire), en marge de la nouvelle finale « Émilie », située dans l’Alsace des troubles révolutionnaires du tournant des 17e et  19e siècles.

Jemmy
Jemmy |

Bibliothèque nationale de France

Enchâssés dans ce cadre, les cycles américain (« Jemmy »), italien (« Octavie » et « Corilla ») et égyptien (« Isis ») promènent le lecteur des lointaines contrées d’une Amérique opposant Indiens et conquérants entre lesquels s’interpose la charismatique Jemmy, aux côtes napolitaines. Entre Antiquité et période contemporaine, récit de voyage, récit amoureux et saynète théâtrale, « Octavie » et « Corilla » partagent une veine amoureuse teintée de mélancolie et de légèreté. Les jeux d’échos et de références d’une figure féminine à l’autre, ou encore d’un motif à l’autre (rose ou temple antique, par exemple), s’intensifient pour culminer dans « Isis » qui retrace la passion archéologique de Nerval pour les ruines antiques et les religions orientales.

Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie. J'ai essayé de les fixer sans beaucoup d'ordre, mais bien des coeurs me comprendront.

Gérard de Nerval, «Sylvie», chapitre 14, «Dernier feuillet», Les Filles du feu, 1854.

Le recueil des Chimères complète la galerie des « filles » et des « fils » du feu au travers de deux cycles distincts : un cycle antique et païen (« Delfica », « Horus », « Myrtho », « Artémis », « Antéros » et « Vers dorés ») et un cycle chrétien. Ce dernier comprend un poème inaugural, le très célèbre « El Desdichado » et un ensemble mystique de cinq sonnets, « Le Christ aux Oliviers ». Dans ces poèmes qui empruntent leur forme à l’art du sonnet que Nerval bouscule allègrement en bon romantique qu’il est, le poète convoque des références mythologiques, légendaires, autobiographiques et historiques hétérogènes, dont la fusion, opérée au travers d’un symbolisme virtuose, brouille ingénieusement les contours du sens. Poussant l’exercice de l’écriture cryptée et onirique dans ses ultimes retranchements par rapport aux nouvelles qui fournissent quelques clefs de lecture, le recueil offre une réponse fulgurante aux critiques du génie nervalien trop rapidement renvoyé aux limites stériles de sa folie.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017)

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