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Berlioz écrivain

Mémoires
Mémoires

Bibliothèque nationale de France

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Écrivain romantique, Berlioz use d'une plume déliée, précise, drôle, incisive, parfois mordante, d'une imagination débordante, et d'un style qui ne manque pas de lyrisme. Outre les plus de trois mille lettres qu'il échange avec sa famille et ses amis, il rédige une grande partie des livrets ou programmes de ses œuvres. Critique musical, théoricien de l'orchestration, il est aussi l'auteur de Mémoires alertes, distanciés et pleins d'humour.

Berlioz feuilletoniste

[La presse] sert de bouclier à celui qui s'en sert. Pourtant à quels misérables ménagements ne suis-je pas contraint !... que de circonlocutions pour éviter l'expression de la vérité ! que de concessions faites aux relations sociales et même à l'opinion publique ! que de rage contenue ! que de honte bue !

Cette tâche toujours renaissante empoisonne ma vie. Et cependant [...] je me vois presque dans l'impossibilité de l'abandonner, sous peine de rester désarmé en présence des haines furieuses et presque innombrables qu'elle m'a suscitées. Car la presse, sous un certain rapport, est plus précieuse que la lance d'Achille.

Mémoires, ch. XLVII
Louis-François Bertin
Louis-François Bertin |

Bibliothèque nationale de France

Après son mariage avec Harriet Smithson en 1833, Berlioz hérite des dettes de sa femme et se cherche une activité plus lucrative que les quelques concerts de ses œuvres. Il a déjà publié, dès son retour de Rome, des articles dans des journaux comme la Revue européenne (dont l'un des fondateurs était son ami Humbert Ferrand), l'Europe littéraire, le Monde dramatique, la Gazette musicale ou le Correspondant. Le jeune compositeur voit dans ces articles peu payés « une arme [...] pour défendre le beau, et pour attaquer [...] le contraire du beau » (Mémoires, ch. XXI).
Le 10 octobre 1834, sa nouvelle Rubini à Calais, parue dans la Gazette musicale, est reproduite, accompagnée de quelques lignes élogieuses, dans le Journal des Débats, quotidien politique et littéraire, puissant organe du régime, aux mains de la famille Bertin. Louis-François Bertin propose à Berlioz de rédiger le feuilleton musical, lui assurant ainsi des revenus réguliers. Durant près de trente ans, le musicien rédige des chroniques sur la vie musicale et analyse les partitions des œuvres qu'il entend. Berlioz donne libre cours à ses admirations et ses enthousiasmes comme à ses indignations avec beaucoup d'humour et d'ironie, évitant l'attaque directe et violente d'œuvres récentes.
Ses feuilletons retracent ainsi l'histoire de la musique de l'époque à Paris, mais aussi en Europe puisque, lors de ses voyages, il continue à écrire des articles sous forme de lettres sur les institutions musicales et les concerts qu'il donne.

Un esclavage qui le détourne de la composition

Carnet de notes préparatoires pour les feuilletons critiques
Carnet de notes préparatoires pour les feuilletons critiques |

© musée Hector-Berlioz

Tout au long de ces années, Berlioz peste contre ce qui devint vite un « esclavage » et qui prend beaucoup trop de temps sur la composition. Il n'abandonnera qu'en 1863 cette activité, lorsque Les Troyens à Carthage lui auront rapporté suffisamment d'argent :
Enfin, enfin, enfin, après trente ans d'esclavage, me voilà libre ! je n'ai plus de feuilletons à écrire, plus de platitudes à justifier, plus de gens médiocres à louer, plus d'indignation à contenir, plus de mensonges, plus de comédies, plus de lâches complaisances, je suis libre ! je puis ne pas mettre les pieds dans les théâtres lyriques, n'en plus parler, n'en plus entendre parler, et ne pas même rire de ce qu'on cuit dans ces gargotes musicales.

Ces quelques lignes de la postface des Mémoires montrent bien le poids de la contrainte à laquelle s'astreint Berlioz pour édulcorer – sans doute par opportunisme – les critiques des œuvres de son temps, même si parfois la dérision pointe sous la platitude de l'éloge. Il lui arrivait d'écrire pour demander à ses amis de ne pas tenir compte de sa chronique du jour, démolissant alors ce qu'il avait loué. Mais il sait aussi faire preuve d'une totale sincérité quand il distribue à la fois louanges et critiques sur l'exécution de Sapho de Gounod tout en analysant précisément la partition.

Ses feuilletons réunis en volume

À travers chants
À travers chants |

Bibliothèque nationale de France

Berlioz prit soin de publier ses feuilletons en volume. Les chroniques, nouvelles ou« petites comédies » – véritables morceaux de littérature où la critique ne semble qu'un prétexte – sont rassemblés dans Les Soirées de l'orchestre (1852), Les Grotesques de la musique (1859) et À travers chants (1862). À quelques exceptions (Meyerbeer, Spontini, Rossini ou Paganini), ses contemporains ne connaissent pas cet honneur que Berlioz réserve à l'analyse des symphonies de Beethoven, des œuvres de Mozart, Gluck, Weber ou Spontini.

Berlioz librettiste

Épisode de la vie d'un artiste
Épisode de la vie d'un artiste |

BnF, département de la Musique, coll. Richard Macnutt

Toutes les œuvres littéraires ou livrets commandés n'offrent pas nécessairement la meilleure matière qui soit pour composer. Le musicien peut même se sentir prisonnier des phrases si celles-ci ne chantent pas comme il le souhaiterait.
Pour avoir la maîtrise complète de son travail, Berlioz écrit lui-même les textes de ses œuvres, ce qui, sans être une nouveauté à l'époque, reste toutefois exceptionnel. En procédant de la sorte, il prend exemple sur Wagner qui compose systématiquement les livrets de ses opéras.

Berlioz rédige les programme et récitatif de la Symphonie fantastique et de Lélio, adapte d'après Shakespeare le livret de sa symphonie Roméo et Juliette, et versifie le texte de ses quatre grandes œuvres lyriques : La Damnation de Faust d'après Goethe, L'Enfance du Christ, Les Troyens d'après Virgile, et Béatrice et Bénédict d'après Shakespeare. On a pu reprocher ces vers à l'auteur, mieux inspiré quand il écrit en prose. Trop souvent il force la rime et produit un style peu naturel. Cependant Berlioz librettiste possède un don incontestable pour construire une scène de théâtre et pour faire parler les personnages

Berlioz mémorialiste


On a imprimé, et on imprime encore de temps en temps à mon sujet des notices biographiques si pleine d'inexactitudes et d'erreurs, que l'idée m'est enfin venue d'écrire moi-même ce qui, dans ma vie laborieuse et agitée, me paraît susceptible de quelque intérêt pour les amis de l'art.
 

Mémoires, Préface (incipit)

Berlioz commence ses Mémoires en mars 1848 – il habite alors Londres – les termine le 18 octobre 1854, ajoute un post-scriptum (lettre à son éditeur) le 25 mai 1858 et les reprend fin 1864 avec une postface et un « Voyage en Dauphiné » consacré à Estelle retrouvée, pour les achever définitivement le ler janvier 1865. Bien qu'ils soient écrits plusieurs années après les faits, le ton en est celui d'un journal, car l'auteur se replonge facilement dans ses souvenirs ressuscitant pour les décrire les sentiments éprouvés alors. Mais dès la préface, il prévient le lecteur : ce ne sont pas des confessions, « je ne dirai que ce qu'il me plaira de dire ; et si le lecteur me refuse son absolution, il faudra qu'il soit d'une sévérité peu orthodoxe, car je n'avouerai que les péchés véniels ».

Mémoires
Mémoires |

Bibliothèque nationale de France

Les Mémoires sont remplis de sa vénération pour ses maîtres – Virgile, Shakespeare, Beethoven –, de son adoration pour Gluck, Weber, Spontini, de sa détestation de la musique italienne (excepté deux ou trois œuvres de Rossini), des affres de ses amours – Estelle, Harriet ou Camille –, de ses démêlés avec Cherubini, directeur du Conservatoire lorsqu'il y est élève, de ses critiques sur le concours du Grand Prix de Rome, sur l'Institut et sur tout académisme (sa narration de la remise des prix à l'Institut est désopilante). Il ne cesse d'exprimer son aversion pour la laideur et la médiocrité.

Heurs et malheurs du compositeur

S'il décrit avec un lyrisme tout romantique ses émotions, ses moments d'exaltation suivie d'abattement, le spleen qui l'envahit si souvent ("mon élan de joie naïve fut brisé soudain par une douleur aiguë que je ressentis au cœur", ch. XLIII), il livre également ses réflexions et ses idées sur la musique, reprenant au besoin des articles déjà parus ; il relate avec vivacité et ironie beaucoup d'anecdotes de concerts, critiquant le public inculte, les directeurs de salles, les musiciens, les chanteurs et les chefs d'orchestre qui ne respectent pas la partition. Ainsi raconte-t-il comment, fréquentant régulièrement les salles de concert, il n'hésitait pas à intervenir immédiatement si l'exécution n'était pas fidèle : « c'est en face du public, à haute et intelligible voix, que j'apostrophais les délinquants » (ch. XV).

Mémoires
Mémoires |

Bibliothèque nationale de France

Une très grande partie des Mémoires est consacrée au récit de ses nombreux voyages en Europe et des concerts qu'il y donne. Il réutilise des textes de son premier livre Voyage musical en Allemagne et en Italie, constitué de lettres à ses amis et publié en 1844. Il raconte avec force détails ses impressions sur les paysages qu'il découvre comme sur ses rencontres et l'accueil – très favorable la plupart du temps – qu'il reçoit. Les lignes écrites à ce sujet apportent une foule d'informations sur la vie musicale en Europe à cette époque.

Dans son ensemble, cette œuvre littéraire témoigne plus singulièrement du travail acharné du musicien et de sa lutte incessante pour faire accepter sa musique. À part quelques extraits publiés en 1858, les Mémoires ne paraissent qu'après la mort de Berlioz. Il avait cependant tenu à les faire imprimer en 1865, afin d'en corriger les épreuves et d'envoyer les volumes à quelques-uns de ses amis, dont Estelle.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Berlioz, la voix du romantisme » présentée du 17 octobre 2003 au 18 janvier 2004 à la Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec Arte, France Musiques et l'Orchestre de Paris-Mogador.

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