La danse au 17^e siècle : un divertissement sérieux

Cette gravure fait partie des célèbres images de mode des quatre frères Bonnart, Nicolas étant l’aîné, gravées et diffusées chez leur père, Henri, imprimeur en taille-douce devenu marchand d’estampes durant les dernières décennies du 17^e siècle. Mettant en action des figures, parfois des célébrités, affublées des atours à la dernière mode de Paris, accompagnées d’un quatrain badin ou galant, leurs activités – le jeu, la musique, la promenade… – composent une sorte de gazette du bon ton. Ici le « maître à danser » joue d’une « pochette », petit violon dont la caisse de résonance en forme de « bateau » permet de le glisser dans un sachet ou dans la poche du justaucorps, le rendant aisé à transporter pour dispenser des leçons à domicile.

Le maître de danse Raoul Auger Feuillet publia en 1700 son Art de décrire la Danse par caractères et signes démonstratifs, avec lesquels on apprend facilement de soi-même toutes sortes de Danses, sous le néologisme savant « Chorégraphie ». Emprunté au grec, il signifie « écriture de la danse ». Sur une même page figurent, en haut, la notation musicale de l’air sur lequel la danse est composée, et, en dessous, le « chemin » ou parcours emprunté par le ou les danseurs (souvent deux), c’est-à-dire une ligne où de petits traits perpendiculaires correspondent aux barres de mesure, et où sont inscrites les « figures », ou pas et positions des deux pieds, complétées par des « signes » indiquant les « différents mouvements qu’on fait en dansant, comme de plier les genoux, les étendre, sauter, tourner le corps, &c. » (Mercure galant)
Le succès de ces partitions, aisées à glisser « dans une lettre ainsi qu’on envoie un Air de Musique » (Feuillet), qui permettaient de diffuser les pratiques des maîtres à danser entre Paris, la Province et dans toute l’Europe, encouragea le grand danseur et maître de ballet Pierre Beauchamps à revendiquer la paternité de l’invention. Sont recensées sur cette page les « cinq positions » des pieds qui servent toujours de base à l’enseignement de la danse dite « classique ». Le reste du corps n’est pas pris en compte dans ce système de notation, ce qui oblige les danseurs d’aujourd’hui à le compléter à l’aide d’autres textes pour reconstituer ces danses.

Deux « grands bals » furent organisés les 11 et 14 décembre 1697 pour célébrer les noces du petit-fils de Louis XIV avec la princesse de Savoie. Comme à l’accoutumée, des gradins furent dressés pour recevoir les spectateurs, ici dans la Galerie des glaces, et le plan marque, au premier rang, les places réservées à la famille royale et aux couples appelés à danser. Traditionnellement, le bal s’ouvrait par une suite de « branles » collectifs, avant de laisser la place à une « courante », confiée ici aux mariés. Les jeunes gens, âgés de 12 et 15 ans, avaient préparé activement leur prestation, et le maître de ballet de l’Opéra de Paris, Guillaume-Louis Pécour, semble avoir composé pour l’occasion une variante plus moderne, publiée sous le titre « La Bourgogne ». Une quarantaine de couples se succédèrent ensuite, par deux ou par quatre. La presse des spectateurs du premier bal fut si grande qu’on organisa plus strictement le second : « Tout y fut dans le plus grand ordre du monde. À sept heures, le roi, le roi et la reine d’Angleterre, la famille royale, les princes du sang, les danseurs […] et toutes les dames vinrent chez Mme la duchesse de Bourgogne, d’où ils entrèrent dans la galerie, et ce bal fut admirable et tout entier en habits qui n’avaient pas encore paru. » (Saint-Simon)

Les « Soirées d’Appartement », qui visaient à proposer des divertissements variés à l’entourage du roi, sa famille et les courtisans, apparurent dans les années 1670 et furent organisés, trois fois la semaine, à partir de l’installation de la cour à Versailles en 1682. Dans les pièces placées en enfilade qui composent le Grand Appartement, on trouve ainsi des tables de jeu de toutes sortes, des collations, de la musique : « tous ceux qui y venaient avoient une liberté tout entière de se divertir à tout ce qui leur plaisait. Dans une chambre, il y avait des musiciens qui chantaient de temps en temps ; il y avait des violons et des hautbois avec lesquels on dansait quand on en avait envie » (Sourches). Le salon de Mars (plus rarement le salon d’Apollon), est en effet dédié à la danse de bal : au fond on aperçoit l’une des deux tribunes pour les musiciens.
La série de six gravures fut sans doute commandée par le roi et réalisée entre 1694 et 1696 par Trouvain, également auteur d’une large collection de portraits des membres de la cour, que l’on retrouve ici plus fidèlement représentés que les salons.

Les Fées des forêts de Saint-Germain fut dansé au Louvre à l’occasion du Carnaval par Louis XIII et son entourage le 11 février 1625. Le dessein fut conçu par Henri de Savoie, duc de Nemours, alors en charge des fêtes de la cour, qui eut ensuite « la curiosité d’en faire de grands livres où toutes les entrées étaient peintes en miniature » (Tallemant des Réaux), d’après les maquettes de costumes de Daniel Rabel. Les vers furent écrits par René Bordier, les danses composées par Jacques de Belleville, et les récits par Antoine Boësset. Il était organisé en cinq « ballets » conduits chacun par une fée tutélaire des divertissements : « Guillemine la Quinteuse, Robine la Hasardeuse, Jacqueline l’Entendue, Alison la Hargneuse, et Macette la Caprioleuse […] ; la première présidant à la Musique ; la seconde, aux Jeux de hasard ; la troisième, aux diverses espèces de Folie ; la quatrième, aux Combats, et la dernière, à la Danse » (Marolles). Formant la principale entrée de la suite de Macette, juste avant le grand ballet final, les « Bilboquets », d’abord immobiles, s’animèrent de manière éblouissante, évoquant les soubresauts du célèbre jeu d’adresse.

Le ballet dit La Délivrance de Renaud fut donné au Louvre le 29 janvier 1617, à l’occasion du carnaval. Les airs chantés, écrits par René Bordier et Étienne Durand, furent composés par Pierre Guédron et Antoine Boësset, les danses par Gabriel Bataille, Jacques de Belleville et Jacques Mauduit. Lointainement inspiré par un épisode de l’épopée La Jérusalem délivrée du Tasse (1581), il fut dansé par Louis XIII, alors âgé de 15 ans, qui en aurait choisi le sujet. Il y représentait un Démon du feu et surtout Godefroy de Bouillon, le chef des Croisés, qui préside à la libération du chevalier Renaud, incarné par le favori du roi, le duc de Luynes, des enchantements de la magicienne Armide. Celle-ci, qui a invoqué ses Démons à son secours, les a vus d’abord paraître sous la forme d’animaux étranges, d’où sortent ensuite ces grotesques « Vieilles », mi-femmes mi-cavaliers.

Parmi les 102 biographies d’artistes, hommes d’Église, militaires ou auteurs, rédigées par Charles Perrault en réponse à la commande de l’amateur d’estampes Michel Bégon, figure le poète Isaac de Benserade (1613-1691), qui joua un rôle crucial à la cour comme maître des compositions galantes. Les deux hommes collaborèrent pour le Labyrinthe de Versailles (1679), mais surtout en tant que concepteurs des divertissements du roi. Perrault rend en particulier hommage à la manière dont Benserade avait transformé le ballet participatif en jeu de société, en rédigeant des « vers pour les personnages » publiés dans les livres-programmes, qui évoquaient à la fois le danseur (toujours masqué) et son rôle : « Le coup portait sur le personnage et le contrecoup sur la personne ; ce qui donnait un double plaisir en donnant à entendre deux choses à la fois, qui belles séparément, devenaient encore plus belles étant jointes ensemble. Il en était de même de tous les seigneurs et de toutes les dames de la Cour qui dansaient avec le roi dans ces mêmes ballets : leurs qualités, leurs talents et quelquefois même leurs intrigues y étaient touchées si délicatement qu’ils étaient obligés d’en rire les premiers. »

Cette estampe fait partie d’une série de six gravures de Dolivar, imprimées par Jean Lepautre, immortalisant les costumes du Triomphe de l’Amour conçus par Jean Berain I (1640-1711), devenu le peintre officiel de l’Académie royale de musique en 1680. Ce ballet allégorique en vingt entrées fut représenté pour la première fois à la cour à Saint-Germain en Laye, le 21 janvier 1681. Commandé au compositeur Jean-Baptiste Lully et à son poète attitré, Philippe Quinault, il était destiné à célébrer le mariage du Dauphin en renouant avec les pratiques du grand ballet participatif de carnaval, et on rappela même Benserade pour rédiger les vers pour les personnages du programme. Presqu’entièrement exécuté par la famille royale, les courtisans et les dames de la cour, il fut repris par l’Académie royale de musique en mai de la même année, et pour la première fois, Lully compléta la troupe par des danseuses professionnelles.

Pour valoriser son invention, la Chorégraphie, ou Art de décrire la Danse par caractères et signes démonstratifs, avec lesquels on apprend facilement de soi-même toutes sortes de Danses, publiée pour la première fois en 1700, le maître de danse Raoul Auger Feuillet s’attacha à diffuser l’actualité parisienne et en particulier les danses composées par Guillaume-Louis Pécour, alors maître de ballet de l’Académie royale de musique. On trouve ici une « Entrée espagnole » de sa composition, destinée à deux danseurs vedettes de la troupe, Claude Ballon et Mlle de Subligny, pour un opéra-ballet à grand succès, L’Europe galante d’Antoine Houdar de la Motte et André Campra, créé en 1697. La musique, une sorte de sarabande espagnole gaie, est notée en haut de chacun des cinq feuillets tandis que la danse, au-dessous, est écrite sur les tracés ou « chemins » attribués aux deux interprètes, indiquant les positions et les pas, leurs ornements, et leur rythme.

Ce beau portrait de Guillaume-Louis Pécour (vers 1651-1729), gravé par François Chéreau d’après un dessin de Robert Levrac-Tournières, témoigne du prestige du danseur, devenu compositeur et maître de ballet de l’Académie royale de musique après le retrait de Pierre Beauchamps à la mort de Jean-Baptiste Lully, son premier directeur, en 1687. En effet, en tant qu’interprète, « Pécour remplissait toutes sortes de caractères avec grâce, justesse et légèreté » mais doté d’un « génie supérieur » pour la composition des ballets, il se signala « par la variété infinie et par les nouveaux agréments qu’il prêta aux mêmes Ballets, que Beauchamp avait déjà fait exécuter. » (Pierre Rameau)
Dans une période de transition pour l’institution, il contribua à définir la fonction de maître de ballet, et incita à l’élaboration de spectacles à entrées séparées ou opéras-ballets, qui permettaient de mettre en valeur la troupe des danseurs et des chanteurs de l’Opéra de Paris. Nombre de ses chorégraphies furent diffusées, et sont encore aujourd’hui connues, par des partitions en notation Beauchamps-Feuillet.

Claude Ballon ou Balon (vers 1671-1744), est entré dans la troupe de l’Opéra en 1691, où il fit sensation : « C’est le plus gracieux et le plus habile danseur qui ait paru sur le théâtre de l’Académie royale de musique. Les grâces de la figure, la régularité de la taille quoique au-dessous de la médiocre et peut-être par-là plus propre à la danse. Une oreille d’une exactitude parfaite, la jambe belle, les bras admirables ; si l’on ajoute à cela du feu et de la légèreté, avec un certain air tendre qu’il mettait dans les attitudes, surtout dans les pas de deux, on ne sera plus surpris de la réputation qu’il se fit à l’Opéra et de celle qu’il conserve encore. » (Durey de Noinville) D’abord interprète sous l’autorité de Guillaume-Louis Pécour, rival de Michel Blondy, chorégraphe lui-même, il est choisi pour instruire Louis XV dès 1715, son épouse Marie Leszczynska et les enfants de France en 1731.
Cette gravure de mode est éditée par Henri II Bonnart (1642-1711), et plutôt qu’un portrait fidèle – rappelons que les danseurs en scène étaient toujours masqués –, elle immortalise son costume, qui peut éventuellement servir de modèle pour les particuliers fortunés.

Marie Thérèse Perdou de Subligny (1666-1736) est fille d’un avocat et auteur de théâtre, et entre à l’Académie royale de musique en 1690. Elle y succède à Mlle La Fontaine et précède Marie-Catherine Guyot et Françoise Prévost. Elle s’illustre en tant que partenaire des plus grands solistes masculins : Claude Balon et Michel Blondy. Rapidement célèbre, elle se produit à Londres et s’installe au sommet de la hiérarchie de la troupe de l’Opéra en 1704. Mlle de Subligny est aussi la première danseuse nommée dans les partitions chorégraphiques en notation Beauchamps-Feuillet.
Cette gravure de mode est éditée par Henri II Bonnart (1642-1711), et plutôt qu’un portrait fidèle de la danseuse vedette – rappelons que les danseurs en scène étaient toujours masqués –, elle immortalise son costume, qui peut éventuellement servir de modèle pour les particuliers fortunés.