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Anthologie

Entretiens sur la pluralité des mondes dans le texte.

Une sélection d'extraits pour découvrir les Entretiens sur la pluralité des mondes, un traité d'astronomie publié par Bernard de Fontenelle en 1686. Il y entreprend de vulgariser les théories de Descartes à destination des esprits curieux mais non spécialistes. Il présente ainsi les plus récentes découvertes sous la forme d'un dialogue galant entre un philosophe et une marquise.

Préface

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686.
Dans sa Préface à son traité d'astronomie Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), Fontenelle assume sa volonté de vulgarisation scientifique et se prémunit contre les critiques. Il compare ainsi sa démarche à celle de Cicéron traduisant certains traités de philosophie grecque en latin pour les rendre accessibles. L'auteur assure vouloir tout à la fois « instruire et divertir » son lecteur.

Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Cicéron, lorsqu’il entreprit de mettre en sa langue des matières de philosophie, qui jusque-là n’avaient été traitées qu’en grec. Il nous apprend qu’on disait que ses ouvrages seraient fort inutiles, parce que ceux qui aimaient la philosophie s’étant bien donné la peine de la chercher dans les livres grecs, négligeraient après cela de la voir dans les livres latins, qui ne seraient pas originaux, et que ceux qui n’avaient pas de goût pour la philosophie ne se souciaient de la voir ni en latin, ni en grec.
 
À cela il répond qu’il arriverait tout le contraire, que ceux qui n’étaient pas philosophes seraient tentés de le devenir par la facilité de lire les livres latins ; et que ceux qui l’étaient déjà par la lecture des livres grecs seraient bien aises de voir comment ces choses-là avaient été maniées en latin.
 
Cicéron avait raison de parler ainsi. L’excellence de son génie et la grande réputation qu’il avait déjà acquise lui garantissaient le succès de cette nouvelle sorte d’ouvrages qu’il donnait au public ; mais moi, je suis bien éloigné d’avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J’ai voulu traiter la philosophie d’une manière qui ne fût point philosophique ; j’ai tâché de l’amener à un point où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants. Mais si on me dit, à peu près comme à Cicéron, qu’un pareil ouvrage n’est propre ni aux savants qui n’y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n’auront point d’envie d’y rien apprendre, je n’ai garde de répondre ce qu’il répondit. Il se peut bien faire qu’en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j’en aie trouvé un où elle ne convienne à personne ; les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu’il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.
 
Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connaissance de la physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et plus égayée ce qu’ils savent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux pour qui ces matières sont nouvelles que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s’ils cherchent ici de l’utilité ; et les seconds, s’ils n’y cherchent que de l’agrément.

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes : Paris, E. Dididier, 1852.

Mots-clés

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Premier Soir. Que la Terre tourne sur elle-même, et autour du Soleil

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686.
Dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1786), Fontenelle mêle le ton de la galanterie à l'explication scientifique afin de mettre l'astronomie à la portée de tous. Il rapporte ainsi les discussions du narrateur avec une aimable marquise sous le ciel étoilé des nuits d'automne, dans le parc d'un château en Normandie. Il s'agit ici de la première des six soirées au cours desquelles son « élève » découvrira les phénomènes célestes.
 

Nous allâmes donc un soir après souper nous promener dans le parc. Il faisait un frais délicieux, qui nous récompensait d'une journée fort chaude que nous avions essuyée. La Lune était levée il y avait peut-être une heure et ses rayons, qui ne venaient à nous qu'entre les branches des arbres, faisaient un agréable mélange d'un blanc fort vif, avec tout ce vert qui paraissait noir. Il n'y avait pas un nuage qui dérobât ou qui obscurcît la moindre étoile, elles étaient toutes d'un or pur et éclatant, et qui était encore relevé par le fond bleu où elles sont attachées. Ce spectacle me fit rêver ; et peut-être sans la marquise eussé-je rêvé assez longtemps ; mais la présence d'une si aimable dame ne me permit pas de m'abandonner à la Lune et aux étoiles.

 Ne trouvez-vous pas, lui dis-je, que le jour même n'est pas si beau qu'une belle nuit ?
 Oui, me répondit-elle, la beauté du jour est comme une beauté blonde qui a plus de brillant ; mais la beauté de la nuit est une beauté brune qui est plus touchante.
 Vous êtes bien généreuse, repris-je, de donner cet avantage aux brunes, vous qui ne l'êtes pas. Il est pourtant vrai que le jour est ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et que les héroïnes de romans, qui sont ce qu'il y a de plus beau dans l'imagination, sont presque toujours blondes.
 Ce n'est rien que la beauté, répliqua-t-elle, si elle ne touche. Avouez que le jour ne vous eût jamais jeté dans une rêverie aussi douce que celle où je vous ai vu près de tomber tout à l'heure à la vue de cette belle nuit.
 J'en conviens, répondis-je ; mais en récompense, une blonde comme vous me ferait encore mieux rêver que la plus belle nuit du monde, avec toute sa beauté brune.
 Quand cela serait vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas. Je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent être dans ses intérêts, fût aussi le même effet. Pourquoi les amants, qui sont bons juges de ce qui touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit dans toutes les chansons et dans toutes les élégies que je connais ?
 Il faut bien que la nuit ait leurs remerciements, lui dis-je.
 Mais, reprit-elle, elle a aussi toutes leurs plaintes. Le jour ne s'attire point leurs confidences ; d'où cela vient-il ?
 C'est apparemment, répondis-je, qu'il n'inspire point je ne sais quoi de triste et de passionné. Il semble pendant la nuit que tout soit en repos. On s'imagine que les étoiles marchent avec plus de silence que le soleil, les objets que le ciel présente sont plus doux, la vue s'y arrête plus aisément ; enfin on en rêve mieux, parce qu'on se flatte d'être alors dans toute la nature la seule personne occupée à rêver. Peut-être aussi que le spectacle du jour est trop uniforme, ce n'est qu'un soleil, et une voûte bleue, mais il se peut que la vue de toutes ces étoiles semées confusément, et disposées au hasard en mille figures différentes, favorise la rêverie, et un certain désordre de pensées où l'on ne tombe point sans plaisir.
 J'ai toujours senti ce que vous me dites, reprit-elle, j'aime les étoiles, et je me plaindrais volontiers du soleil qui nous les efface.
 Ah ! m'écriai-je, je ne puis lui pardonner de me faire perdre de vue tous ces mondes.
 Qu'appelez-vous tous ces mondes ? me dit-elle, en me regardant, et en se tournant vers moi.
 Je vous demande pardon, répondis-je. Vous m'avez mis sur ma folie, et aussitôt mon imagination s'est échappée.
 Quelle est donc cette folie ? reprit-elle.
 Hélas ! répliquai-je, je suis bien fâché qu'il faille vous l'avouer, je me suis mis dans la tête que chaque étoile pourrait bien être un monde. Je ne jurerais pourtant pas que cela fût vrai, mais je le tiens pour vrai, parce qu'il me fait plaisir à croire. C'est une idée qui me plaît, et qui s'est placée dans mon esprit d'une manière riante. Selon moi, il n'y a pas jusqu'aux vérités auxquelles l'agrément ne soit nécessaire.
 Eh bien, reprit-elle, puisque votre folie est si agréable, donnez-la moi, je croirai sur les étoiles tout ce que vous voudrez, pourvu que j'y trouve du plaisir.
 Ah ! Madame, répondis-je bien vite, ce n'est pas un plaisir comme celui que vous auriez à une comédie de Molière ; c'en est un qui est je ne sais où dans la raison, et qui ne fait rire que l'esprit.
 Quoi donc, reprit-elle, croyez-vous qu'on soit incapable des plaisirs qui ne sont que dans la raison ? Je veux tout à l'heure vous faire voir le contraire, apprenez-moi vos étoiles.
 Non, répliquai-je, il ne me sera point reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j'aie parlé de philosophie à la plus aimable personne que je connaisse. Cherchez ailleurs vos philosophes.
 
J'eus beau me défendre encore quelque temps sur ce ton-là, il fallut céder. Je lui fis du moins promettre pour mon honneur, qu'elle me garderait le secret, et quand je fus hors d'état de m'en pouvoir dédire, et que je voulus parler, je vis que je ne savais pas où commencer mon discours ; car avec une personne comme elle, qui ne savait rien en matière de physique, il fallait prendre les choses de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvait être une planète, et les planètes autant de terres, et toutes les étoiles autant de soleils qui éclairaient des mondes. J'en revenais toujours à lui dire qu'il aurait mieux valu s'entretenir de bagatelles, comme toute personne raisonnable auraient fait en notre place. À la fin cependant, pour lui donner une idée générale de la philosophie, voici par où je commençai.

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes : Paris, E. Dididier, 1852.

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Second soir. Que la lune est une terre habitée

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686.
Le narrateur expose ici à la Marquise de G. l'idée « folle » qu'il puisse y avoir un jour un commerce avec la lune et que celle-ci puisse être habitée. Cette idée, qui scandalise son interlocutrice, est soutenue par le  parallèle avec la découverte de l'Amérique, inimaginable avant qu'elle ne se produise grâce aux avancées de la navigation.

J'ai une pensée très ridicule, qui a un air de vraisemblance qui me surprend ; je ne sais où elle peut l'avoir pris, étant aussi impertinente qu'elle est. Je gage que je vais vous réduire à avouer, contre toute raison, qu'il pourra y avoir un jour du commerce entre la Terre et la lune. Remettez-vous dans l'esprit l'état où était l'Amérique avant qu'elle eût été découverte par Christophe Colomb. Ses habitants vivaient dans une ignorance extrême. Loin de connaître les sciences, ils ne connaissaient pas les arts les plus simples et les plus nécessaires. Ils allaient nus, ils n'avaient point d'autres armes que l'arc, ils n'avaient jamais conçu que des hommes pussent être portés par des animaux ; ils regardaient la mer comme un grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au-delà duquel il n'y avait rien. Il est vrai qu'après avoir passé des années entières à creuser le tronc d'un gros arbre avec des pierres tranchantes, ils se mettaient sur la mer dans ce tronc, et allaient terre à terre portés par le vent et par les flots. Mais comme ce vaisseau était sujet à être souvent renversé, il fallait qu'ils se missent aussitôt à la nage pour le rattraper et, à proprement parler, ils nageaient toujours, hormis le temps qu'ils s'y délassaient. Qui leur eût dit qu'il y avait une sorte de navigation incomparablement plus parfaite qu'on pouvait traverser cette étendue infinie d'eaux, de tel côté et de tel sens qu'on voulait, qu'on s'y pouvait arrêter sans mouvement au milieu des flots émus, qu'on était maître de la vitesse avec laquelle on allait, qu'enfin cette mer, quelque vaste qu'elle fût, n'était point un obstacle à la communication des peuples, pourvu seulement qu'il y eût des peuples au-delà, vous pouvez compter qu'ils ne l'eussent jamais cru. Cependant voilà un beau jour le spectacle du monde le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux. De grands corps énormes qui paraissent avoir des ailes blanches, qui volent sur la mer, qui vomissent du feu de toutes parts, et qui viennent jeter sur le rivage des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils veulent de monstres qui courent sous eux, et tenant en leur main des foudres dont ils terrassent tout ce qui leur résiste. D'où sont-ils venus ? Qui a pu les amener par-dessus les mers ? Qui a mis le feu en leur disposition ? Sont-ce les enfants du Soleil ? car assurément ce ne sont pas des hommes. Je ne sais, Madame, si vous entrez comme moi dans la surprise des Américains ; mais jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le monde. Après cela je ne veux plus jurer qu'il ne puisse y avoir commerce quelque jour entre la Lune et la Terre. Les Américains eussent-ils cru qu'il eût dû y en avoir entre l'Amérique et l'Europe qu'ils ne connaissaient seulement pas ? Il est vrai qu'il faudra traverser ce grand espace d'air et de ciel qui est entre la Terre et la Lune ; mais ces grandes mers paraissaient-elles aux Américains plus propres à être traversées ?
 En vérité, dit la Marquise en me regardant, vous êtes fou.
 Qui vous dit le contraire ? répondis-je.
 Mais je veux vous le prouver, reprit-elle, je ne me contente pas de l'aveu que vous en faites. Les Américains étaient si ignorants qu'ils n'avaient garde de soupçonner qu'on pût se faire des chemins au travers des mers si vastes ; mais nous qui avons tant de connaissances, nous nous figurerions bien qu'on pût aller par les airs, si l'on pouvait effectivement y aller.
 On fait plus que se figurer la chose possible, répliquai-je, on commence déjà à voler un peu ; plusieurs personnes différentes ont trouvé le secret de s'ajuster des ailes qui les soutinssent en l'air, de leur donner du mouvement, et de passer par-dessus des rivières. A la vérité, ce n'a pas été un vol d'aigle, et il en a quelquefois coûté à ces nouveaux oiseaux un bras ou une jambe ; mais enfin cela ne représente encore que les premières planches que l'on a mises sur l'eau, et qui ont été le commencement de la navigation. De ces planches-là, il y avait bien loin jusqu'à de gros navires qui pussent faire le tour du monde. Cependant peu à peu sont venus les gros navires. L'art de voler ne fait encore que de naître, il se perfectionnera, et quelque jour on ira jusqu'à la Lune. Prétendons-nous avoir découvert toutes choses, ou les avoir mises à un point qu'on n'y puisse rien ajouter ? Eh, de grâce, consentons qu'il y ait encore quelque chose à faire pour les siècles à venir.
 Je ne consentirai point, dit-elle, qu'on vole jamais, que d'une manière à se rompre aussitôt le cou.
 Eh bien, lui répondis-je, si vous voulez qu'on vole toujours si mal ici, on volera mieux dans la Lune ; les habitants seront plus propres que nous à ce métier ; car il n'importe que nous allions là, ou qu'ils viennent ici ; et nous serons comme les Américains qui ne se figuraient pas qu'on pût naviguer, quoiqu'à l'autre bout du monde on naviguât fort bien.
 Les gens de la Lune seraient donc déjà venus ? reprit-elle presque en colère.
 Les Européens n'ont été en Amérique qu'au bout de six mille ans, répliquai-je en éclatant de rire, il leur fallut ce temps-là pour perfectionner la navigation jusqu'au point de pouvoir traverser l'Océan. Les gens de la Lune savent peut- être déjà faire de petits voyages dans l'air, à l'heure qu'il est, ils s'exercent ; quand ils seront plus habiles et plus expérimentés, nous les verrons, et Dieu sait quelle surprise

Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes : Paris, E. Dididier, 1852.

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