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Iwai Hanshirô IV dans le rôle de Shigenoi

« La noble dame aux rênes colorées » (Koinyôbô SomewakeTazuna)
Iwai Hanshirô IV dans le rôle de Shigenoi
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Sharaku montre un tout autre aspect de l’acteur. On ignore tout de la biographie de ce génie qui apparut, travailla quelques mois et disparut. « La noble dame aux rênes colorées » figure un portrait d’acteur, mais c’est un portrait d’une grande acuité psychologique, portrait étrange, qui dérange même, et qui est à la limite de l’abstraction. Véritable portrait psychique fascinant, c’est aussi celui d’un onnagata, reconnaissable grâce à l’étoffe de soie qu’il porte sur le front. On rasait en effet la boucle frontale des acteurs masculins pour ne pas les confondre avec des femmes. Ils avaient à la ville la même attitude qu’à la scène et cherchaient à imiter au mieux la démarche et l’allure des dames, pour en être les meilleurs interprètes possible. Comme la tradition le veut, Sharaku fait le portrait de cet acteur au moment le plus intense du drame. Raconter tous ces drames est difficile car ils sont très longs, remplis de rebondissements constants, très pathétiques et assez violents.

Sharaku n’est pas le premier à réaliser des portraits d’acteurs en plan rapproché, comme Utamaro l’avait fait pour les courtisanes. S’il innove, c’est en se spécialisant dans ce genre et dans la manière synthétique de traiter l’expression d’un visage à un moment précis. La subtilité et la pénétration psychologique avec lesquelles il capte l’intensité, la fulgurance du regard atteignent presque à l’abstraction.
L’ambiguïté des physionomies d’onnagata a certainement constitué un attrait supplémentaire pour ce dessinateur de génie, celui d’une recherche captivante autant artistique que psychologique. Les étranges portraits de ces interprètes restent d’une mystérieuse complexité malgré la simplicité et la sobriété des moyens employés. Bien au-delà du rôle, Sharaku observe l’individu.

Le portrait d’Hanshirô IV (1747-1800), acteur sous ce nom de 1765 à 1800, l’un des meilleurs onnagata avec Kikunojô III, en est un exemple. Il interprète ici le rôle féminin essentiel du drame La Noble Dame aux rênes colorées, qui a pour origine une pièce de théâtre jôruri datée de 1708, écrite par le célèbre dramaturge Chikamatsu Monzaemon.
Adaptée au kabuki dès 1751, présentée à Edo, au théâtre Kawarazaki-za à partir du 5e mois de 1794, cette pièce connut une grande popularité. L’intrigue relate un drame du devoir. Maîtresse du fils de l’intendant d’un château, la servante Shigenoi a eu un fils, Sankichi, et s’en est séparée. Pardonnée de son inconduite par le prince, elle devient la nourrice de la petite princesse. Celle-ci doit entreprendre un voyage pour se marier et ne veut pas partir. Un petit conducteur de chevaux qui fait partie du voyage et qui possède un jeu est appelé pour la distraire. Il découvre que la nourrice est sa mère. Il lui montre le talisman qu’il porte sur lui et qu’elle lui a remis autrefois. Shigenoi, qui ne peut révéler à la princesse ses liens de sœur de lait avec un enfant illégitime sans lui nuire, se sépare à nouveau de son fils, toujours par devoir.

Sharaku a représenté l’onnagata dans le rôle de Shigenoi, au moment où celle-ci reconnaît le talisman qu’elle tient, et où elle va prendre une cruelle décision. C’est la scène principale du drame. L’acteur se détache sur un fond micacé gris foncé, métallisé, accroissant la gravité de l’instant. Sa calvitie frontale, provoquée par les mèches rasées pour éviter toute équivoque sur le sexe de l’onnagata, est couverte d’une étoffe de soie. Sur son épaule se distingue le second blason (mon) des Hanshirô, trois éventails dans un cercle, motif qui orne aussi l’un de ses kimonos. (G. L.)

© Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1794
  • Auteur(es)
    Sharaku Toshusai (actif entre 1794 et 1795)
  • Description technique
    Signé : « Tôshûsai Sharaku ga »
    Éditeur : Tsutaya Jûzaburô
    Cachet de censure : kiwame
    Nishiki-e. Format ôban. 379 x 247 mm
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE DE-10, J. B. 599

  • Lien permanent
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