Alphabet de la Grande Guerre

Le célèbre créateur d’album et décorateur qu’est André Hellé (1870-1945) participe aussi du « bourrage de crâne » patriotique de 1914-1918, comme créateur de jouets militaires pour les magasins du Printemps, illustrateur de musique militaire pour Devambez, auteur d’une Geste héroïque des petits soldats de bois et de plomb pour Larousse, et enfin de cet Alphabet de la Grande Guerre. Berger-Levrault publie, dans ces années, de la littérature militaire, héroïque et belliciste. Si le thème du soldat est alors fréquent dans les alphabets, il est ici omniprésent et fort orienté, chaque image étant soulignée d’un texte didactique qui n’est rien d’autre que de la propagande (l’auteur du texte, non précisé, n’est pas forcément Hellé lui-même). La table des matières est surmontée de sept petits soldats ressemblant à de charmants jouets (tous alliés contre l’Allemagne), en dessous sont les drapeaux des principaux alliés, et les lettres mettent en valeur l’Alsace comme enjeu premier par la lettre A, qui ouvre l’album, Joffre le Chef, nos alliés russes et anglais, et divers moyens de tuer (mitrailleuse, lance-bombes.). Les dessins sont particulièrement habiles à faire passer le message : « Alsace » montre une ruée de soldats bleus en août 1914, (anachronisme : l’uniforme horizon n’existait pas alors), en bon ordre pacifique (fusil à l’épaule), accueillis avec des fleurs par des Alsaciens sortis d’un album de Hansi, pavoisant et en liesse : une accumulation de réalités travesties. La lettre T « Tranchée » montre des poilus couchés dans du gazon, la lettre Y « Yacht » concerne les blessés, évacués en bateau de luxe (!) : une guerre d’où l’ennemi est absent, sans combats ni violence, un air de colonies de vacances ou de croisière, le tout réalisé en pleine « boucherie » de Verdun. Un exemple parmi d’autres de l’engagement massif et sans discernement de la littérature pour la jeunesse dans la rhétorique guerrière d’alors. En 1919, Hellé publie Quillambois soldat et Le Livre des heures héroïques et douloureuses 1914, 1915, 1916, 1917, 1918, où transparaissent enfin la réalité des « années de tueries, années de massacre ». (O. P.)