La Foire aux idées, dessinée par Bertall, professeur de prothèse comique

L'effervescence et la variété des idées qui fusèrent à Paris pendant les premiers mois de 1848 est traduite avec verve mais beaucoup de parti pris par le dessinateur Bertall, pseudonyme d'Albert d'Arnould. Représentés sous l'aspect de bateleurs, les grands noms de la pensée utopique et socialiste du moment rivalisent d'éloquence devant des badauds ébahis. Sur le même plan que Robert Macaire, type littéraire du filou fanfaron, ceux que l'on appelait les réformateurs sociaux proposent des remèdes aux maux les plus aigus de la société : Cabet vante l'Icarie, dont le dessinateur a malicieusement situé la capitale à Charenton, alors siège du plus important asile d'aliénés de France ; Pierre Leroux, qui vient d'être élu représentant et dont la chevelure ébouriffée provoque les moqueries, Louis Blanc, éphémère membre du gouvernement provisoire, ainsi qu'un Proudhon imbu de ses idées exaltent à leur façon les solutions socialistes.
Flanqué d'un homme-orchestre dont les résultats ne sont sans doute pas ceux qu'aurait souhaités Fourier en ses rêves d'harmonie – et en qui on peut peut-être reconnaître le publiciste Samuel-François Girard –, Victor Considérant développe avec sérieux l'un des aspects les plus délirants de la pensée du maître : la future mutation biologique des humains. Le dessinateur prend aussi plaisir à mettre sur le même plan les rêveries en quête de « prothèses sociales » et les charlataneries des vendeurs de dents « osanaures », dont se faisait une spécialité un certain Fattet. On pense alors à l'expression « mentir comme un arracheur de dents ». Il s'agit donc là d'une représentation propre à plaire aux partisans de l'ordre, qui se scandalisent des critiques sociales, en dénoncent à plaisir les aspects contradictoires et réagissent avec vigueur à toutes les utopies, en quoi ils ne veulent voir que chimères.