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Devenir et être chevalier

La quête du Saint Graal
La quête du Saint Graal

© Bibliothèque nationale de France

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Devenir chevalier est en soi une aventure. L'aspirant doit à la fois faire la preuve de sa valeur guerrière et de sa haute moralité. À partir du 13e siècle, la dimension chrétienne imprègne de plus en plus les romans de chevalerie.

Issu en général d’un lignage noble, mais parfois de naissance modeste, accepté par sa seule valeur, le chevalier doit mériter son intégration dans la communauté qui entoure le roi. Devenir chevalier et rencontrer le roi qui fait les chevaliers est le rêve qui habite le personnage de Perceval le Gallois, dans le Conte du Graal, à partir du moment où il a vu apparaître devant ses yeux éblouis les armures étincelantes des chevaliers qui sortent des profondeurs du bois où il chasse. Grâce à l’enseignement que lui donne le « preudomme », Gornemant de Goort, il va découvrir que la chevalerie ne se réduit pas à ces apparences brillantes et apprend non seulement le maniement des armes, mais aussi les obligations du chevalier : le respect de la vie de l’adversaire, l’utilisation raisonnable de la force qui doit servir la justice et le droit, l’aide à apporter aux dames, aux faibles et aux victimes, la fréquentation des églises et le salut de son âme. Perceval est alors adoubé et reçoit l’ordre de chevalerie, « l’ordre le plus élevé que Dieu ait établi et inspiré » qui « ne souffre aucune bassesse » [vv.1636-38]. La dernière étape que le chevalier doit parcourir est la découverte progressive de la charité, de l’ouverture aux autres et de la foi. Loin de n’être qu’un ordre militaire, la chevalerie est présentée comme l’aspiration aux plus hautes missions humaines.

Le Conte du Graal
Le Conte du Graal |

© Bibliothèque nationale de France

Le Conte du Graal
Le Conte du Graal |

© Bibliothèque nationale de France

Au cours du 13e siècle, sous l’influence grandissante de l’église et en particulier des ordres religieux, l’éthique chevaleresque se fait de plus en plus exigeante : le chevalier doit exclusivement mettre sa force et ses capacités guerrières au service de la foi et de la chrétienté. Y a-t-il ici la volonté de canaliser les forces vives d’une jeunesse souvent turbulente et brutale, qui aime se battre, qui cherche à s’enrichir dans les tournois et qui n’hésite pas à faire couler le sang dans des combats exclusivement mondains ? Il est probable aussi que le souvenir des croisades de la fin du 12e siècle en particulier de la troisième croisade qui, pour venger la prise de Jérusalem par Saladin, vit partir outremer le roi Philippe-Auguste et la chevalerie de France, a fait réfléchir sur le rôle que devait jouer l’élite militaire du pays. Quant aux clercs qui écrivent au 13e siècle les suites romanesques de l’histoire arthurienne comme la Queste du Graal ou le Lancelot en prose, ils sont issus d’un milieu religieux et ont contribué à la christianisation de l’idéal chevaleresque.

La Quête du Graal
La Quête du Graal |

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Le soldat de Dieu

L'un des développements les plus complets sur les droits et les devoirs du chevalier se trouve dans le Lancelot en prose. La définition de la chevalerie donnée par la Dame du Lac au jeune Lancelot, âgé de dix-huit ans, se situe au moment où il va la quitter pour rejoindre la cour du roi Arthur.

« Au commencement, quand l'ordre de chevalerie fut établi, on imposa à celui qui voulait devenir chevalier, et qui en avait reçu le don par droit d'élection, d'être courtois sans vilénie, magnanime sans félonie, hardi sans couardise, rempli de compassion à l'égard des malheureux, généreux et tout prêt à secourir ceux qui étaient dans le besoin, tout prêt aussi à confondre les bandits et les tueurs, juge impartial sans sympathie ni antipathie : sans sympathie qui le pousse à aider le parti en tort pour causer du mal au parti en droit, sans antipathie qui le fasse nuire à ceux qui ont raison pour favoriser ceux qui ont eu tort. Un chevalier ne doit pas faire par peur de la mort quelque chose qui puisse lui être imputé à déshonneur, mais il doit davantage redouter la honte que la mort. Les chevaliers ont été établis, fondamentalement, pour protéger la sainte Eglise, car elle ne doit pas se défendre par les armes, ni rendre le mal pour le mal : le chevalier a la tâche de protéger celui qui tend la joue gauche quand on l'a frappé sur la joie droite. »[[note||Lancelot en prose, vers 1220-1230]] La chevalerie n’est pas un privilège dû à la naissance et l’ordre a été créé pour protéger les faibles et assurer la justice et la paix. Le chevalier est devenu le bras de Dieu. Et la Dame du Lac ajoute : « Le chevalier doit être le seigneur du peuple et le soldat de Dieu, puisque son devoir est de protéger, défendre et soutenir la sainte Eglise. »1

Lancelot, la Dame du Lac et son escorte immaculée, se rendent à Camelot pour demander à Arthur d’adouber le jeune homme
Lancelot, la Dame du Lac et son escorte immaculée, se rendent à Camelot pour demander à Arthur d’adouber le jeune homme |

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Adoubement de Lancelot par le roi Arthur
Adoubement de Lancelot par le roi Arthur |

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Ce discours nouveau, qui cherche à christianiser l'ordre profane de la chevalerie en le mettant au service de l'Eglise, fait écho aux discussions du 13e siècle sur l'articulation entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Ecrits sous l’influence cistercienne, ces préceptes ne pouvaient qu’être favorables à une Eglise qui s’impose comme puissance hégémonique de l’Occident.
Cependant les chevaliers arthuriens, tout en cherchant à atteindre cet idéal, ont leurs faiblesses et leurs limites. Ils ne pourront jamais complètement répondre à ces hautes exigences. C’est pourquoi les clercs du 13e siècle ont inventé le personnage de Galaad, le fils de Lancelot, seul parmi tous les chevaliers arthuriens à correspondre à la définition donnée.

De la chevalerie terrestre à la chevalerie célestielle

La littérature propose au 13e siècle un mythe de la chevalerie qui privilégie le salut individuel et l’oubli des valeurs terrestres. Le roi et sa cour n’occupent plus le centre des récits. Les chevaliers, même ceux de la Table ronde, n’ont plus comme priorité de rester auprès du roi Arthur. L’aventure suprême se présente à eux : la conquête de la royauté du Graal. Pourtant réputé pour sa valeur, Gauvain qui, dans les romans de Chrétien de Troyes, est la « fleur de chevalerie », demeure trop attaché aux valeurs mondaines et à la gloire. Lancelot, valeureux lui aussi, a aimé la reine Guenièvre et cela le disqualifie de la quête. La chevalerie terrestre représentée par ces chevaliers est condamnée au profit de ceux qui représentent la chevalerie célestielle. Trois chevaliers seulement parviennent à franchir un certain nombre d‘épreuves et à rejoindre Sarras : Bohort, Perceval et Galaad. Bohort est l’un des meilleurs chevaliers de la Table ronde ; célibataire, capable d’abstinence, il est généreux et en toutes circonstances il fait son devoir, aide les dames et répond à toutes les exigences de l’idéal chevaleresque. Il est le seul à revenir vivant à Camelot pour témoigner de ce qu’il a vu à Sarras. Perceval non plus ne peut arriver jusqu’au Graal. Bien qu’il ait parcouru toutes les étapes de l’intégration chevaleresque, il ne peut accéder à cette suprême aventure à cause du péché qu’il a commis en oubliant sa mère ou peut-être de sa rencontre avec Blanchefleur. S’il avait achevé le Conte du Graal, Chrétien de Troyes lui aurait-il permis d’accéder aux valeurs de la plus haute chevalerie célestielle et aux mystères du château du Roi-Pêcheur ? Les auteurs des Continuations en vers – Wauchier de Denain, Gerbert de Montreuil ou Manessier – insistent sur l’importance de la confession pour retrouver la pureté de l’âme et sur l’aspiration au divin qui dirige le héros vers la sainteté. Mais les grands cycles romanesques en prose composés au 13e siècle vont remplacer Perceval par Galaad, le fils de Lancelot. Valeureux, il demeure cependant étranger à l’univers arthurien. Dégagé des contingences terrestres, il ne combat pas des adversaires humains, mais des démons ou des allégories du péché. Il est le seul parmi tous les chevaliers à s’asseoir sur le Siège Périlleux, guérir le roi Mehaigné et voir le Graal. Emporté au ciel, il est alors, non plus un chevalier, mais une figure christique.

Selon Dominique Boutet : « L’assomption célestielle de la chevalerie arthurienne s’accomplit dans l’oubli de ce symbole terrien qu’est le royaume. » (Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire)

Notes

  1. Lancelot en prose, vers 1220-1230