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Laurent de Médicis, un tyran magnifique

Camée : Laurent de Médicis
Camée : Laurent de Médicis

Bibliothèque nationale de France

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Gouvernée par des Princes qui font d’elle le centre névralgique de la Renaissance, encore républicaine dans ses institutions, Florence symbolise l’ambiguïté des expériences politiques du 15e siècle italien. Laurent de Médicis, dit « le Magnifique », incarne cette ambivalence et reste, pour la postérité, le plus éminent représentant de la dynastie qui mena la cité toscane à son apogée.

L’ « agréable tyran »

Fêtes en l’honneur de Ferdinand Ier de Medicis pour la naissance de son fils Cosme
Fêtes en l’honneur de Ferdinand Ier de Medicis pour la naissance de son fils Cosme |

Bibliothèque nationale de France

À la mort de Pierre Ier de Médicis, dit le Goutteux (1464-1469), son fils Laurent hérite à la fois du pouvoir politique, d’une fortune considérable et de la dynamique artistique et intellectuelle impulsée par Cosme l’Ancien quelques décennies plus tôt. Mais le jeune homme ambitieux oublie rapidement la prudence de ses prédécesseurs et le pacte tacite que son grand-père avait passé avec l’oligarchie florentine, qui laissait à cette dernière la suprématie sociale et conférait en retour l’essentiel du pouvoir politique aux Médicis. Le Conseil des Cent, créé en 1458, peuplé de leurs partisans, leur permettait déjà de contrôler les magistratures florentines ; Laurent réduit sa composition à 40 membres en 1471 au lendemain de la révolte de Prato. Ce tournant autoritaire passe aussi par l’éviction des rivaux politiques des Médicis par une série de procédés d’exclusion directe (proscriptions, inscription sur la liste des Magnats) ou indirecte (redressements fiscaux, trucage des désignations aux charges…). En 1469 il épouse la Romaine Clarisse Orsini et entre dans le clan des vieilles familles aristocratiques. Il obtient pour leur fils aîné, Jean (le futur pape Léon X), le chapeau de cardinal, consacrant ainsi l’ascension sociale de la dynastie.

Médaille de Julien de Médicis
Médaille de Julien de Médicis |

Bibliothèque nationale de France

Les rancœurs politiques, sociales, économiques se cristallisent au sein des anciennes familles florentines. En 1478, Laurent échappe de justesse à la mort tandis que son frère Julien est assassiné lors d’une conspiration ourdie par les Pazzi et les Salviati et soutenue en secret par le pape Sixte IV. Cet événement accentue encore le caractère autocratique de son gouvernement. La guerre menée par Florence en représailles contre la papauté et le royaume de Naples s’achève en 1480 par le triomphe paradoxal de Laurent, qui sort grandi de la conjuration et de ses conséquences malgré la défaite de ses troupes : elle lui fournit un prétexte supplémentaire pour renforcer la mainmise des Médicis sur les institutions et personnifier encore davantage le pouvoir florentin, tout en asseyant sa réputation d’habile négociateur. En 1480, la création du Conseil des Soixante-Dix consacre la prééminence politique des Médicis : il ne comprend que des fidèles de Laurent, non plus élus mais nommés à vie, et devient un organe suprême de contrôle de l’État. Pour finir, Laurent institue le Conseil des Dix-Sept en 1490 et se fait élire membre des deux principales instances de gouvernement, dans lequel il intervient donc désormais directement.

Florence n’en demeure pas moins, en façade, une république oligarchique, contrôlée par une famille dont l’illégitimité à exercer un pouvoir autocratique est de plus en plus évidente aux yeux des contemporains, qui ne tardent pas à le taxer de tyrannie. Le pouvoir politique des Médicis n’a jamais été aussi puissant mais demeure informulé, tandis que les nuages s’accumulent sur les affaires de la banque familiale, négligées par ce prince officieux, et que commencent à résonner les sermons accusateurs du prédicateur Savonarole.

« Le Magnifique », Prince de la Renaissance

Car au-delà de ses maladresses politiques et de sa mauvaise gestion de la maison Médicis, Laurent demeure, aux yeux de ses contemporains comme de la postérité, un modèle accompli de prince de la Renaissance.

Il chérissait et s’attachait tous ceux qui excellaient dans les arts ; il protégeait les gens de lettres […]. Laurent faisait surtout ses délices de la musique, de l’architecture, de la poésie.

Machiavel, Histoires florentines, 1532

Son grand-père lui a légué le goût des arts, du mécénat et la somptueuse villa de Careggi où se côtoient savants et humanistes. De son père il a reçu la somptueuse collection familiale ainsi que la bibliothèque initiée par Cosme, constamment enrichie de manuscrits grecs et latins grâce aux recherches effrénées du libraire Vespasiano da Bisticci. Ouverte au public en 1571, la Bibliothèque Laurentienne rend ouvertement hommage au Magnifique.

La villa médicéenne de Careggi
La villa médicéenne de Careggi |

Museo di Firenze com’era

Élève des humanistes qu’il a fréquentés toute sa vie, Laurent connaît les lettres antiques et modernes, excelle en poésie qu’il pratique à ses heures, protège et patronne les philosophes et les érudits qu’il reçoit à Careggi. Il y anime une « académie » sur le modèle platonicien, qui regroupe Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Ange Politien ou Cristoforo Landino. Botticelli, à travers des œuvres comme Le Printemps (v. 1480) ou La naissance de Vénus (v. 1485), traduit en peinture cette réactivation de l’idéal du Beau platonicien.
Le mécénat de Laurent ne se borne pas aux limites strictes de Florence : il pratique également l’exportation des talents toscans : aussi bien Botticelli que Léonard de Vinci, Michel-Ange ou Giuliano da Sangallo sont envoyés dans les plus grandes cours de la péninsule afin d’y exercer leur art et proclamer la supériorité de la renaissance florentine et l’entregent de leur mécène.

Michel-Ange, tombeau de Laurent de Médicis, dans l’église San Lorenzo, à Florence
Michel-Ange, tombeau de Laurent de Médicis, dans l’église San Lorenzo, à Florence |

Bibliothèque nationale de France

Sa disparition le 18 avril 1492 marque la fin de ce premier âge d’or médicéen. Bientôt, avec le début des Guerres d’Italie, l’équilibre géopolitique de la paix de Lodi, cet équilibre entre les « cinq grands » dont Cosme avait été le principal artisan et que Laurent s’était évertué, avec plus ou moins de succès, à préserver, vole en éclats. Ces événements auront raison, temporairement, de la banque familiale et de la domination de la famille Médicis sur Florence.