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Les biographies de Marcel Proust

Proust au tennis
Proust au tennis

Bibliothèque nationale de France

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Proust se montre sceptique envers des approches de la littérature fondées sur une étude de la vie des écrivains. Pour lui, il s’agit d’une erreur de juger une œuvre littéraire à partir du caractère de son auteur, car « un livre, écrit-il dans son Contre Sainte-Beuve, est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. » Malgré cet avertissement, qui n’exclut pas forcément toute réflexion prudente sur les rapports entre l’écrivain et son œuvre, l’auteur d’À la recherche du temps perdu est le sujet d’un impressionnant nombre de biographies.

Dès 1925, soit trois ans après la mort Proust et même avant la parution des derniers volumes de la Recherche, Léon Pierre-Quint offre un tour d’horizon du monde proustien dans Marcel Proust : sa vie, son œuvre. Il s’ensuit la publication des souvenirs de nombreux contemporains de l'écrivain ainsi qu’une première édition, très loin d’être complète, de sa correspondance en 1930-1936. En 1949, André Maurois publie la première biographie d’envergure, À la recherche de Marcel Proust, qui représente une admirable synthèse des sources alors disponibles et situe le romancier au sein d’un univers social que son biographe connaît intimement. Toutefois, Maurois travaille sans pouvoir consulter plusieurs inédits proustiens dont son roman autobiographique inachevé, Jean Santeuil, édité à titre posthume en 1952 ainsi que Contre Sainte-Beuve, paru en 1954, qui mettront en lumière l’évolution de l’écriture proustienne.

Léon Pierre-Quint (1895-1958)
Léon Pierre-Quint (1895-1958) |

Bibliothèque nationale de France

André Maurois (1885-1967)
André Maurois (1885-1967) |

Studio Maywald – Collection particulière

George Painter, un commissaire de musée anglais, puise dans ce corpus élargi pour écrire Marcel Proust (1959-1965), qui sera vite célébré comme un modèle de l’art biographique et relancera les ventes de la Recherche dans le monde anglophone. Rédigée avec verve et éclat, cette biographie en deux tomes raconte la vie de Proust à la manière d’un roman d’apprentissage et met en exergue son homosexualité à une époque où cet aspect de son identité reste mal connu. En revanche, Painter se permet des rapprochements souvent trop faciles entre la vie et l’œuvre, voyant dans la Recherche « une autobiographie créative » au lieu d’un véritable roman1. Sa décision ne pas interviewer les nombreux contemporains de Proust qui sont alors toujours en vie paraît tout aussi contestable.

Roger Stéphane adopte l’approche inverse dans son Portrait-Souvenir de Proust, diffusé sur l’ORTF en janvier 1962, où l’on découvre des témoignages des intimes de Proust comme Jean Cocteau, Daniel Halévy et François Mauriac, tout comme celui de sa servante Céleste Albaret dont le récit des derniers jours du romancier est particulièrement émouvant. L’engouement pour Proust ayant connu un déclin relatif durant l’après-guerre, ce documentaire biographique relance l’auteur auprès du grand public français, qui pourra bientôt lire l’intégralité de la Recherche pour la première fois en format poche dans la collection sortie chez Gallimard entre 1965 et 1971.

Proust connaît en même temps un regain d’intérêt universitaire. Sa correspondance complète, éditée par Philip Kolb en 21 tomes, paraît chez Plon entre 1970 et 1993. Une équipe de chercheurs menés par Jean-Yves Tadié préparent également une nouvelle édition scientifique, enrichie d’un vaste appareil critique, de la Recherche à partir des manuscrits du Fonds Proust construit par la BnF, qui est publié dans la Bibliothèque de la Pléiade entre 1987 et 1989.

Cette nouvelle expansion du corpus proustien donne lieu à deux grandes biographies qui font désormais référence. Le Marcel Proust : biographie (1996) de Tadié est autant un récit minutieux de l’évolution de l’œuvre que de la vie de l’écrivain qui retrace le développement du roman proustien à partir de Jean Santeuil, en passant par Contre Sainte-Beuve, jusqu’à la mosaïque protéiforme de la Recherche. Tadié nous offre également un portrait méticuleux de l’enfance et de l’éducation de Proust, mettant en avant l’influence quelque peu occultée de son père et de sa grand-mère ainsi que son immense curiosité intellectuelle. Dans Marcel Proust: A Life (2000), l’universitaire américain William C. Carter se penche davantage sur le vécu quotidien de Proust, employant une écriture vive et romanesque qui rend son sujet hautement abordable pour les non spécialistes (au moins ceux qui lisent l’anglais, car cet ouvrage attend toujours sa traduction française). Il est particulièrement attentif aux zones d’ombres et aux complexités de la vie intime de Proust, dont son attirance pour les femmes. Ses analyses sur ce thème sont, en outre, approfondies dans Proust in Love (2006).

Proust, qui demande à certains de ses correspondants de brûler ses lettres, aurait sans doute été horrifié que l’on puisse lire autant de récits détaillés de sa vie. Pourtant, l’étendue et la profondeur de la biographie proustienne représentent un ultime hommage à une œuvre au sein de laquelle Proust lui-même entretient sciemment l’ambiguïté à l’égard des parallèles entre son héros et lui-même. Ces travaux nous permettent finalement de mieux saisir pourquoi et comment Proust devient l’auteur de la Recherche, sans confondre l’homme avec sa création.

Notes

  1. George D. Painter, Marcel Proust : A Biography, nouvelle édition, London : Chatto & Windus, 1989, p. 19 (traduction de l’auteur).