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Extrait

La première représentation d’Antony racontée par Dumas

Alexandre Dumas, Mes Mémoires

On poussait de tels cris de terreur, d’effroi, de douleur dans la salle, que peut-être le tiers des spectateurs à peine entendit ces mots, complément obligé de la pièce, qui, sans eux, n’offre plus qu’une simple intrigue d’adultère dénouée par un simple assassinat.
Et, cependant, l’effet fut immense. On demanda l’auteur avec des cris de rage. Bocage vint et me nomma.
Puis on redemanda Antony et Adèle, et tous deux revinrent prendre leur part d’un triomphe comme ils n’en avaient jamais eu, comme ils n’en devaient jamais ravoir.
C’est que tous deux avaient atteint les plus splendides hauteurs de l’art !
Je m’élançai hors de ma baignoire pour courir à eux, sans faire attention que les corridors étaient encombrés de spectateurs sortant des loges.
Je n’avais pas fait quatre pas, que j’étais reconnu. Alors, j’eus mon tour comme auteur.
Tout un monde de jeunes gens de mon âge – j’avais vingt-huit ans – pâle, effaré, haletant, se rua sur moi. On me tira à droite, on me tira à gauche, on m’embrassa. J’avais un habit vert boutonné du premier au dernier bouton : on en mit les basques en morceaux. J’entrai dans les coulisses comme lord Spencer rentre chez lui, avec une veste ronde ; le reste de mon habit était passé à l’état de relique.
Au théâtre, on était stupéfait. On n’avait jamais vu de succès se produisant sous une pareille forme ; jamais applaudissements n’étaient arrivés si directement du public aux acteurs – et de quel public ? du public fashionable, du public dandy, du public des premières loges, du public qui n’applaudit pas d’habitude, et qui, cette fois, s’était enroué à force de crier, avait crevé ses gants à force d’applaudir.

Alexandre Dumas, Mes Mémoires, tome 8, Paris, 1863-1884, p. 114.
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