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Extrait

« Ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies »

Molière, Les Fourberies de Scapin, acte I, scène 2

OCTAVE
Ah, mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré ; je suis le plus infortuné de tous les hommes.

SCAPIN
Comment ?

OCTAVE
N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?

SCAPIN
Non.

OCTAVE
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.

SCAPIN
Hé bien, qu’y a-t-il là de si funeste ?

OCTAVE
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.

SCAPIN
Non ; mais il ne tiendra qu’à vous que je la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.

OCTAVE
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t’être redevable de plus que de la vie.

SCAPIN
À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues ; qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier : mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd’hui, et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva.

OCTAVE
Comment ? Quelle affaire, Scapin ?

SCAPIN
Une aventure où je me brouillai avec la justice.

OCTAVE
La justice !

SCAPIN
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.

SILVESTRE
Toi, et la justice ?

SCAPIN
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire. Baste. Ne laissez pas de me conter votre aventure.

Molière, Les Fourberies de Scapin, acte I, scène 2
Librairie des bibliophiles (Paris), 1876
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