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Extrait

« Moi, renoncer au monde, avant que de vieillir ! »

Molière, Le Misanthrope, acte V, scène 4

ALCESTE
[…]
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits,
J’en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d’une faiblesse,
Où le vice du temps, porte votre jeunesse ;
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains,
Et que, dans mon désert, où j’ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
C’est par là, seulement, que dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits ;
Et qu’après cet éclat, qu’un noble cœur abhorre,
Il peut m’être permis de vous aimer encore.

CÉLIMÈNE
Moi, renoncer au monde, avant que de vieillir !
Et dans votre désert aller m’ensevelir !

ALCESTE
Et s’il faut qu’à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde ?
Vos désirs, avec moi, ne sont-ils pas contents ?

CÉLIMÈNE
La solitude effraye une âme de vingt ans ;
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds :
Et l’hymen ...

ALCESTE
Non, mon cœur, à présent, vous déteste,
Et ce refus, lui seul, fait plus que tout le reste :
Puisque vous n’êtes point en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage,
De vos indignes fers, pour jamais me dégage.

(Célimène se retire, et Alceste parle à Éliante.)
Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n’ai vu, qu’en vous, de la sincérité :
De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême,
Mais laissez-moi, toujours, vous estimer de même :
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l’honneur de vos fers ;
Je m’en sens trop indigne, et commence à connaître,
Que le Ciel, pour ce nœud, ne m’avait point fait naître ;
Que ce serait, pour vous, un hommage trop bas,
Que le rebut d’un cœur qui ne vous valait pas :
Et qu’enfin...

ÉLIANTE
Vous pouvez suivre cette pensée,
Ma main, de se donner, n’est pas embarrassée ;
Et voilà votre ami, sans trop m’inquiéter,
Qui, si je l’en priais, la pourrait accepter.

PHILINTE
Ah ! cet honneur, Madame, est toute mon envie,
Et j’y sacrifierais et mon sang, et ma vie.

ALCESTE
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L’un pour l’autre, à jamais, garder ces sentiments.
Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices ;
Et chercher sur la terre, un endroit écarté,
Où d’être homme d’honneur, on ait la liberté.

PHILINTE
Allons, Madame, allons employer toute chose,
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.
 

Molière, Le Misanthrope, acte V, scène 4
Librairie Hachette et Cie (Paris), 1882
 
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